Image : Insta #MaisonMargiela
Le tailoring devait disparaître au profit du sportwear. Le jean ? mort et enterré. Les tendances : une vaste bourrasque dans laquelle s’engouffre les fashion victims. Pour cette quatrième journée, Cerutti 1881 s’inscrit dans la lignée d’un savoir-faire du décontracté. Le vêtement de illégiature a la cote. Les créateurs puissent dans les uniformes utilitaires pour les rendre cool et relax. Peut-être que cette conception du travail Made In silicone Valley va créer des vocations : travailler plus pour gagner plus ? Travailler décontracté pour gagner moins : une mauvaise équation si l’on veut accéder au prêt-à-porter. Tout ces mélanges de codes tendent à faire perdre la tête. La fluidité des styles, la fluidité des genres, la fluidité entre les espaces privés et les espaces publics. Tout le système patriarcal de la mode est en crise, et finalement la classe intemporelle de Cerutti 1881, tout comme l’extravagance intemporelle de Comme Des Garçons sont des phares rassurant.
John Galliano pour Maison Margiela Artisanal, ou Hed Mayner: des collections dont les mises en scène évoquent la maladie, ou plutôt la perception de la déviance. Le corps trans est posé comme un outsider de la société. Alors Galliano, lui-même pathologisé par les médias, travaille les binarismes de genre pour les faire exploser : leggings roses, et sensualité pour la collection Maison Margiela Artisanal. Le mieux est encore de rendre à Galliano sa voix : un podcast ou il révèle ses inspirations est disponible en ligne – à écouter ici.
Arrêtons de parler d’excentricité, comme pour mieux délégitimer le discours de Galliano, ou Rei Kawabuto (Comme des Garçons). Ils ne sont que les humbles miroirs de ce que la société a voulu qu’ils soient.
La question : À qui sert le discours de la maladie ? Qui utilise encore le mot « fashion victim » pour pathologiser les gens qui évoluent dans la mode ?
ANN DEMEULEMEESTER : portrait de l’artiste romantique
Les étoiles s’alignaient, et la prédiction était mauvaise pour la Belgique et les six d’Anvers. Ils devaient laisser place à une nouvelle scène, ils avaient raté le coche. La collection de Sébastien Munier met fin à cette prophétie. Une esthétique légère et vaporeuse qui plonge dans la mélancolie tel que les romantiques du XIX l’on décrite. Les roses noires tenues par les mannequins sont comme d’ironiques offrandes au système de la mode. Pour Freud, la mélancolie est une forme anxieuse délirante – un mal du siècle. Un discours qui permet d’expliquer l’inspiration innée d’une classe artistique fauchée, et de justifier leurs déviances. Sur le long terme la mélancolie se combine à l’hystérie: un moyen d’effacer les femmes de la sphère publique. Un processus similaire peut être transposé à la mode. Les directeurs artistiques passent de maisons en maisons. La collection Ann Demeulemeester démontre que l’esthétique venue de Belgique n’est en rien partie. En mêlant la rigidité du cuir à la légèreté du lin, en ne distinguant plus les tenues féminines des tenues masculines, en plongeant le satin dans la soie, Ann Demeulemeester est une force tranquille. En rien atteinte de bile noire.
HED MAYNER : Volumes en convalescence
La présentation Hed Mayner : une performance qui justifie toute l’existence des défilés. En plus de permettre d’apprécier les volumes et textures des vêtements, ce show questionne sur la mise en scène de la folie dans le milieu de la mode. Règles d’écoles et règlements de bonne conduite: en restant debout les spectateurs se retrouvent intégrés au système éducatif du défilé. Auront-ils appris quelque chose sur l’art du volume, du port de chemise et la délicatesse des coupes entre deux selfies ? Le mur des photographes clignote et s’exclame. Certaines tenues passent plusieurs fois : Y’aurait-il un ordre, une bonne éducation à inculquer pour organiser un défilé « sain » ? Dans leurs blouses surdimensionnées, et avec leurs capuches couvrant leur regard, les mannequins s’avancent vers la barricade du système de la mode. Hed Mayner transcende avec virtuosité les codes.
SULVAM : Fin de l’obéissance
Chaises Philippe Starck et Chicha : une rencontre entre le design industriel et le besoin de s’asphyxier. Comme si la reproduction à la chaîne des vêtements avait fini par rendre fou. Teppei Fujita, propose un tailoring en matières légères. Des pulls d’écolier, et de longues blouses entre blanc et nudes habillent indistinctement élèves et professeurs dans ce cabinet hors-zone. Une exigence de transparence qui transcende les ordres : corps féminins, corps masculins, corps vieillissants, corps obéissants se retrouvent pour exposer sans honte leurs besoins communs d’évasion. Tout cela dans un tailoring qui a digéré le sportwear.
Au milieu des pantalons larges, des chemises à rayures et des claquettes/chaussettes, les tendances de cette fashion week sont claires-enfin pastelles. Le sportwear s’est transformé en leisure wear époque 30’s, importé du Japon et des archives d’Issey Miyake. Le défilé Sean Suen résume avec élégance les tendances de ces derniers jours. Un homme chapeauté, entouré de longs manteaux, arborent jeans et chemissettes au milieu de jardins. La frénésie du sportwear a été domptée. Comme dans tout processus culturel, cette tendance a muté grâce aux pratiques des publics qui l’ont adopté. Mais le combo chaussette de sport mocassin est -il une alerte ? Le sportwear leisure, va-t-il dérober le public du combo Fila-baskets Balenciaga?