Petite Fleur (jamais ne meurt) – Iosi Havilio
Denoël – 13€
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Tout s’est enchaîné d’une manière irréversible. En rouvrant les yeux, j’ai aperçu un porte-couteaux derrière le bar. Un échange de sourires m’a poussé jusqu’à la cuisine. Guillermo dansait toujours, imperturbable. J’ai empoigné un long couteau qui me semblait bien aiguisé, je l’ai caché le long de ma jambe et je suis retourné à ma place. J’ai attendu que Guillermo finisse de tourner sur lui-même et, quand il s’est retrouvé face à moi, je lui ai planté la lame d’acier en pleine poitrine. Comme le soir où la pelle était entrée dans sa nuque, c’est le bruit de la chair encornée qui m’a le plus impressionné. Bref, sourd et explosif, comme la vague se brisant sur le rocher. (p.43)
Le narrateur José vient de perdre son emploi, et se retrouve – devant nous – quelque peu démuni et fatigué, entre sa femme Laura et sa fille Antonia. Les rapports qu’il entretient avec sa famille sont normaux-sans plus. Pas de déchaînement de passions irraisonnées, du lambda ordinaire. Un jeudi soir, le jour a son importance, José décide d’aller à la rencontre de son voisin, un dénommé Guillermo, pour lui emprunter une pelle de jardin. Il y rencontre un fou de jazz, érudit et passionnant, avec qui il va prendre l’habitude de discuter des heures durant autour d’une bonne bouteille. De façon anodine et totalement dépouillée de sens, ce fameux jeudi soir, il va prendre la pelle de jardin et assassiner Guillermo en agissant de sang-froid. Mais le lendemain, voilà, son voisin refait surface, il est à nouveau là, comme si l’événement de la veille n’avait jamais existé. La trame de l’histoire est née, entre chroniques ordinaires d’un quotidien de vie et festivités ascensionnelles et cruelles du jeudi soir, puisque José tuera son voisin chaque jeudi soir dans un délire créatif et visuel exponentiel.
L’auteur Iosi est un jeune romancier argentin, né en 1974 à Buenos Aires. Il est important de rappeler que le courant fantastique, en littérature, est un registre né en Argentine. Dans Petite Fleur, Iosi enseigne le réalisme magique à travers « l’histoire normal d’un mec normal », parsemée d’événements inattendus et irrationnels. Le plus déstabilisant, dans ce roman, réside dans les multiples résurrections de Guillermo qui ne s’accrochent à rien, et sont à considérer comme des faits mineurs, sans importance – presque. Ce qu’on note, par contre, c’est la résistance du narrateur à être et à rester. Cette constance et cette immuabilité dans la persistance. Lors de notre interview avec l’auteur, il nous l’a formellement dit : « La meilleure littérature commence par mettre la vaisselle, ratisser le jardin ou sortir les poubelles sur le trottoir ». A travers ce codage binaire, majeur/mineur, entre excès d’informations magiques et banalité quotidienne, entre sortir de la marge et rester au centre, entre improvisation créative et structure… Petite Fleur est un chef d’oeuvre moderne, brillamment conçu pour être une source d’inspiration intuitive, merveilleuse, et colorée.
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(J’avais commencé à traduire les réponses de l’auteur de l’espagnol vers le français, mais l’approximation du rendu, de la « musique » des mots, m’a fait préférer une reprise du phrasé d’Iosi Havilio dans sa langue natale.)
Elisa Palmer. Votre livre fait partie intégrante du courant fantastique, pouvez-vous m’expliquer qu’est-ce qui vous anime dans ce registre ?
Iosi Havilio. Escribir es siempre un hecho fantástico, así la gente vuelva o no de la muerte. La literatura de lo real es una idea tan estúpida como el de suponer cosmogonías planas. Todo el realismo occidental se funda en una gran fantasía: la resurrección. Ocurrió o no ocurrió, poco importa. Nos pasamos la vida volviendo de distintos tipos de muertes, más grandes más pequeñas, más o menos definitivas, dolorosas, placenteras.
Elisa Palmer. Le récit semble absolument réel, puis sombre dans quelque chose d’impossible, sans que cela n’inquiète, ne perturbe l’histoire. Pourquoi avez-vous utilisé ce procédé ? Que souhaitiez-vous dire à travers cela ?
Iosi Havilio. En el origen de este novelita hubo una relectura de Crimen y Castigo y en particular de la escena en que Raskólnikov mata a la vieja y al deambular posterior por las calles, en lo inadmisible de ese acto, de ese asesinato. En su deriva, la vieja para Raskólnikov sigue más viva que nunca, no puede quitársela de la cabeza. No puede ser cierto, no pude haber hecho lo que hice… y si no murió? La materialidad es solo una parte (una parte indivisible) de todas las otras que hacen al misterio de la vida. En todo caso, la resurrección del vecino es acá una sorpresa menor, anecdótica (tan cifrada como inesperada), la perturbación más profunda viene desde antes, de la resistencia del narrador, de la dificultad por ser y permanecer.
Elisa Palmer. Est-ce que tout se dégrade autour du personne principal ? Ou est-ce que finalement rien ne change vraiment ? Qu’en pensez-vous ?
Iosi Havilio. Las circunstancias empujan al narrador a apasionarse por la experiencia, una experiencia que a priori lo condena y paraliza y que habiendo tocado fondo se renueva. Él viene a ser el primero en resurgir… Los finales (nuestros finales) son siempre distintos a los finales imaginados. Cuánto más pasión por la experiencia (en el sentido de comprometido y atormentado) más grandes los alcances de la transformación.
Elisa Palmer. Que représente la figure de l’homme au foyer dans votre livre ?
Iosi Havilio. Las tareas domésticas reclaman al cuerpo en lugar de las palabras. El ciclo humano de todos los días marca el ritmo. En ese sentido, el género no significa nada. Existe, por supuesto, un contexto, un modelo, una serie de convenciones retrógradas que distinguen hombre de mujer, trabajo afuera del trabajo en casa, realidad de ficción, pero solo se trata de conformidades para no entrar en estado de desesperación. La mejor literatura empieza por ponerse a lavar los platos, rastrillar el jardín o sacar la basura a la vereda.
Elisa Palmer. Assassiner son voisin devient de plus en plus challengeant et jouissif, pourquoi ?
Iosi Havilio. El regocijo de reconocerse capaz de lo extremo, de la improvisación, de la creatividad y la crueldad. También el regocijo por saberse cumpliendo con una misión desconocida que se presenta como inevitable. La alegría de pisarle los talones al origen del destino.
Elisa Palmer. En quoi la routine sert-il au courant fantastique ?
Iosi Havilio. El desafío (y ya no solo en la escritura, en el trabajo literario, sino en cualquier orden de la experiencia vital) pasa por desacomodar los términos, las ideas, cuestionar las formas dadas. Rastrear por ejemplo, lo fantástico, lo inexplicable, en la rutina y las repeticiones, lo banal, en los hechos que llamamos fantásticos.
Merci encore à Iosi Havilio.
Elisa Palmer