Le Musée d’Art Roger Quillot de Clermont-Ferrand offre aux amateurs d’art de précieux instants. Cet été, et plus exactement jusqu’au 2 septembre, il laisse entrapercevoir l’ingéniosité de Géricault, et permet un incroyable focus sur son approche créatrice. Elaborée sous la direction de Bruno Chenique, un éminent spécialiste de l’artiste, l’exposition permet une réelle percée dans l’univers du génie. Le visiteur pourra effectuer une réelle immersion dans le processus créatif de l’artiste.
Le postulat initial est ambitieux, percevoir toute la dextérité, les choix esthétiques et éthiques de Géricault à travers l’élaboration du Radeau de la Méduse. Cette œuvre fondamentale, datée de 1819 se révèle une charnière dans l’histoire de l’Art. Charnière stylistique (car initiatrice du romantisme en France ), charnière thématique (par l‘omniprésence d‘un fait ’divers‘ contemporain et’ impactant‘) , elle a connu un succès quasi-instantané. Elaborée de 1818 à 1819, présentée au Salon de 1819 sous le titre censuré de Scène de Naufrage, la toile a su être omniprésente. Sa dimension en elle-même, 5 mètres sur 7, en impose. En opposition au néoclassicisme très couru en ce début du XIXème siècle, l’œuvre s’érige contre tous les idées préconçues. Digression assumée, elle transporte le spectateur.
Initiée à partir d’un fait réel, le naufrage du radeau de la Méduse, l’œuvre oscille entre une reconstitution des faits et une mise en lumière ethnologique de l’évènement. La frégate Méduse s’avère être à l’origine du propos. Celle-ci envoyée au Sénégal par Louis XVIII afin de conforter son autorité, s’échoue le long des Côtes sénégalaises le 2 juillet 1816. L’erreur humaine parait avérée. Le capitaine, Hugues Duroy de Chaumareys, n’a plus navigué depuis 25 ans lorsqu’il accepte d’entreprendre ce voyage. A bord du navire, 400 personnes, quelques fonctionnaires, l’équipage et deux compagnies de soldats. Ces dernières, témoignages de l’Empire avorté, sont pour ainsi dire exilées par la Monarchie de retour au pouvoir . L’analyse scrupuleuse des faits, s’étaye de l’ouvrage rédigé par deux survivants, Corréard et Savigny. Respectivement ingénieur-géographe et chirurgien du navire, les deux hommes sensibilisent l’opinion publique dès 1817 en évoquant les pertes humaines, le cannibalisme au sein de la frêle embarcation.
Sans doute figurant parmi les premiers lecteurs, Géricault entame dès mars 1818 les premières études pour l’œuvre. Ce drame l’a sans doute puissamment impressionné.
Le Musée Roger Quilliot est au cœur de l’intrigue. En effet, l’exposition s’articule autour d’une peinture préparatoire. Elle représente Gerfant , un modèle célèbre à l’époque. Le tableau est répertorié dans les collections municipales depuis 1861. Initialement attesté de la main de Géricault, il a été désattribué dans les années 1970 sous l’influence de Lorenz Eitner, un historien d’Art. En 1972, écrivant un ouvrage sur Le Radeau de la Méduse, il ne mentionne pas cette Tête d’étude.
La ‘réhabilitation’ s’est orchestrée depuis 2007. Elle devint inéluctable avec l’analyse entreprise par Lumière Technologie. Celle-ci applique la Layer Amplification Method (LAM) agrandissant d’un million de fois les couches picturales sous jacentes. Les pigments deviennent très perceptibles et permettent une identification certifiée. Chaque artiste dispose d’une palette de pigments très spécifique, inhérente à son travail. Elle se révèle être une signature à part entière. De plus, la numérisation multispectrale a fait apparaitre au sein d’une sous-couche, un portrait de femme. Les éléments stylistiques, pigmentaires, thématiques ont permis l’authentification par Bruno Chenique.
Indéniablement, ce nouveau procédé élaboré par Pascal Cotte et Jean Pénicaut va faciliter le travail des historiens d’Art.
A l’entrée du bâtiment, une reproduction du Radeau de la Méduse accueille les visiteurs. Imposante, elle parait remémorer l’impact de la toile originale, impact perceptible dès le Salon de 1819. A partir de là, outre La Tête d’étude, 50 pièces, études, toiles, sculptures, sont proposées au regard. Cinq d’entre elles, inédites, extraites de collections privées, sont présentées pour la première fois dans un musée. Toutes permettent petit à petit de s’immerger dans cette catastrophe et l’approche géricaldienne. Regroupées par thématiques, elles savent captiver le regard. En premier, les esquisses préparatoires pour le Radeau de la Méduse campent des dos musculeux quasiment à la Michel-Ange. Elles démontrent les hésitations de mise en scène de l’action. Cet instant capté, l’arrivée de l’Argus, ce navire de la flotte venu les secourir, est l’apogée de l’aventure. Sur le radeau, il ne reste plus que 15 survivants. Le moment est intense. L’enchevêtrement des corps, les élans d’espoir, tout est analysé. Pièce par pièce, tel un jeu de construction, l’œuvre s’élabore.
Une deuxième partie, concerne les corps. Des dessins, esquisses à la mine de plomb, à la sanguine, au crayon noir, croquent des corps et des visages. Ce sont des attitudes saisies dans le vif de l’action. Les modèles se prêtent au jeu.
Une troisième intitulée L’Atelier du Monde retranscrit l’intérêt de Géricault pour les apparences autres. Portraits de noirs, d’orientaux, de naufragés, etc, .. tendent à rappeler son attrait pour l’ailleurs. En deçà, il évoque son implication dans la cause des opprimés. En effet, sur ce radeau, il a peint les 15 survivants. Soldats du Bataillon du Sénégal ou membres de l’équipage déconsidérés de par leur appartenance sociale ou ethnique, ils ont été laissés à l’abandon. Géricault leur rend hommage. Mieux, il s’implique et défend la cause des hommes de couleur. Là où le récit de Corréard et Savigny mentionne un homme noir, l’artiste en peint deux. Il va jusqu’à rajouter un métis. A une époque où la traite est encore tolérée, la loi abolitive du 5 avril 1818 pas toujours appliquée, le geste est significatif. D’ailleurs, la Tête d’étude ou portrait de Gerfant donne un indice de plus. Entourant les épaules de Gerfant, deux mains mates. Elles paraissent appartenir à un métis ou une personne noire. Géricault a su à l’instar de Benjamin Constant, Lafayette, l’Abbé Grégoire défendre cette juste cause mais par des médiums inusuels.
Réexaminée à l’aulne de ces nouveaux éléments, Le Radeau de la Méduse devient une œuvre politique et éminemment contestataire. L’ardeur des naufragés à se sauver parait retranscrire l’avancée de l’Histoire.
La quatrième se focalise sur les fragments humains. Dès mars-octobre 1818, Géricault s’évertue à saisir le sens esthétique, la complexité des membres humains. Bras, jambes, têtes, parties humaines de corps encore charnues. Aidé entre autres par le phrénologue Dumoutier, il peut approcher des cadavres et les étudier de plus prés. Ses huiles surprennent. Par la sensualité, il insuffle encore quelques instants de vie à ces chairs. Philippe Burty, critique d’Art du XIXème siècle a su retranscrire cette fascinante ambigüité, « Nous connaissons (..) un monceau de membres désarticulés qui jettent l’âme dans l’émotion la plus profonde ; mais on oublie vite l’horreur devant le sublime de l’exécution. (..) C’est un chef-d’œuvre parce que l’on sent, à ne point s’y méprendre, que Géricault était ému lui-même en présence de ‘ce je ne sais quoi qui n’a plus de noms dans aucune langue.’ »
La dernière partie, répertorie quelques ultimes travaux de l’artiste. Dès 1823, ce dernier contracte la tuberculose. Toutefois, il continue à créer. Dessins de sa main gauche, moulage de la droite, etc, .. une quantité d’autoportraits témoignent de son engagement artistique. Quelques œuvres d’amis, de contemporains le représentent.
Par cette captivante exposition, Le Marq et Bruno Chenique confèrent à Géricault une place particulière au sein de ce XIXème siècle. Artiste envers et contre tout, Géricault se révèle citoyen, avec une universalité jusqu’alors sous -estimée. Le Radeau de la Méduse, figure de proue du romantisme, prône l’égalité, l’amitié des peuples et des hommes. Delacroix, et d’autres amis de Géricault y sont représentés.
Les choix des commissaires d’exposition, Bruno Chenique et Anne-Charlotte Cathelineau, sont appropriés. Grace à eux, le visiteur a la sensation ‘d’entrer dans le tableau’ et de s’embarquer dans l’aventure. Il devient acteur et fait partie intégrante du sujet. L’effet de catharsis est avéré. La pulsion scopique, elle, est décuplée par l’esthétique ‘tumultueuse’ des corps enchevêtrés.
Ne pas venir admirer cette présentation au Marq serait une erreur. N’hésitez pas, vous ne regretterez pas l’expérience clermontoise !
Musée d’Art Roger Quilliot- MARQ
Quartier historique de Montferrand
Place Louis-Deteix
63100 Clermont-Ferrand
Tel 00 33 (0)4 73 16 11 30
http://museedart.clermont-ferrand.fr
Les Rendez-vous de l‘Exposition
Visites guidées – Aout Du mardi au vendredi à 11h et 15h ‘La quête de l‘humain chez Géricault‘.
Le 2ème et 4ème samedi du mois à 15h
Quelques suggestions hôtelières
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