Je pars à l’entracte
Nicolas d’Estienne d’Orves
Paris, soir de défaite, Samedi 16 avril 2011,
La collection « Les Affranchis » demande à ses auteurs d’écrire la lettre qu’ils n’ont jamais écrite. Nicolas d’Estienne d’Orves joue le jeu et choisit son Ami d’enfance, un Nicolas aussi, qui a quitté le champ en se suicidant. Nicolas (I) et Nicolas (II), c’est près de trente ans d’amitié. Un truc vital, viral, et terriblement oppressant aussi. Ben ouais, le fameux retour de bâton. Ils vont – se faire – croire ensemble qu’ils sont au-dessus de tout, que nos casse-têtes adolescents (acné, filles, sexualité) ne les concernent pas (pas le temps de faire partie du bas peuple), que seuls les films, les opéras, les tableaux et les livres ont droit de cité dans leur monde, sorte de no man’s land, forcément élitiste et prétentieux. Nicolas (I), érigé de son plein chef en maître à penser, dicte les règles, décide de ce qui est beau-bon-valable, donne son aval ou pas, et condamne dans une violence inouïe ce qu’il juge être ou se rapprocher dangereusement de « la merde ». Dans ce corps à corps, Nicolas (II) absorbe comme un buvard les avis et positions de son frère d’esprit comme si elles étaient siennes.
« Quand on grandit ensemble, on ne s’en rend pas compte. On se contente d’avancer. Main dans la main, nous avons toi et moi traversé les derniers feux de l’enfance, l’hideuse adolescence et les premières gifles de l’âge d’homme. Nous avons, l’un dans l’autre – si je puis dire – dépucelé nos sensations : découverte du monde, des grands espaces, de la misère, du rire sous la lune ; déception devant nos proches, nos parents, nos idéaux, nos premiers engouements. Chacun cherchait dans l’autre la validation de ses intuitions. Tolérant, j’encensais les tiennes ; destructeur, tu assassinais mes goûts. » p.18 & 19
Mais, tandis que le monde – qui s’est fait une raison – tourne autour de lui, Nicolas (I) se casse la gueule et se ramasse lamentablement dans sa Tour d’Argent à l’allure plus d’un bidonville. Ses envies de grandeur et de perfection, sans parler de son intransigeance avec l’espèce humaine, ont fait de lui quelqu’un d’aigri, d’inadapté, de déclassé, qui stagne en eaux troubles. On rajoutera : sans-le-sou, mou et dégoulinant de fainéantise, mytho sur les bords, malade imaginaire, jaloux et démesurément faible… C’est simple, quand il décide de se donner la mort à coup de médicaments, c’est presque la seule chose qu’on ait envie d’applaudir puisque pour une fois il est (d’un) presque à la hauteur du personnage et il va (de deux) au bout des choses.
« Car tu es mort : enfin, quel soulagement ! Bravo ! Champagne ! Noël ! Il était temps ! Voilà des années que tu nous devais ce sacrifice, des années que j’attendais ce coup de fil, le redoutant d’abord, l’espérant bientôt, puis l’appelant de tous mes voeux. Ce que j’écris là n’a rien de cruel. D’une certaine manière, voilà ton acte le plus cohérent, le plus logique. Depuis des années tu nous menaçais, sur un ton de moins en moins potache : « Un jour, vous me retrouverez mort. » Dont acte. Enfin tu menais à terme un projet, enfin tu « donnais suite ». L’impuissance globale de toute ta vie, de tous tes engagements, recevait ton poing dans sa gueule ! Il était temps, pétard de bois ! » p. 59 & 61
Une forte impression.
Merci.
Elisa Palmer
Je pars à l'entracte
Nicolas d'Estienne d'Orves
Editions NiL
7€
73 pages
4 comments
C’est merveilleux, ce livre.
L’auteur a un site : http://neo-leblogdeneo.blogspot.com/
Je vous conseille de lire son « Fin de race ». Excellent.
Merci encore pour l’article.
Comment peut-on se réjouir du suicide de son meilleur pote ? Dans la vraie vie ?
Je vais acheter son ouvrage.
Vous m’avez donné envie.
Myriam
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