« Le style est un point de vue et un seul » Andrée Putman.
L’Hôtel de Ville de Paris consacre jusqu’au 29 février 2011 une rétrospective à Andrée Putman, icône du design français et ambassadrice du « style à la française ». Une occasion unique d’aborder l’œuvre de ce monstre sacré de 85 ans et d’effleurer ce qui fait l’essence même de son art : rééditions de mobilier, reconstitutions de lieux comme le bureau du Ministre de la Culture, le fameux piano « Voie lactée », les hôtels de luxe qu’elle a dessinés…
Affiche de l'exposition Andrée Putman ©1992 Jean-Baptiste Huynh
Car oui, le style d’Andrée Putman tient de l’art, mais un art sans commune mesure lui ayant permis d’aménager de la plus belle manière hôtels dans le monde entier, magasins, résidences particulières et bureaux de ministres dans un style épuré devenu depuis sa signature. De la designer qui pense que le « le luxe, c’est d’être exigeant« , on retient justement toute l’exigence et la rigueur d’un style minimaliste sobre mais affirmé, épousant complètement les attentes secrètes d’une époque embourbée dans l’abondance d’objets et la profusion de formes.
Gildo Pastor Center, Monaco, 1996. © Deidi von Schaewen
Mais il ne faut pas pour autant occulter les touches d’humour et de fantaisie voire de poésie qu’elle a su insuffler dans un style intemporel mais terriblement moderne. »Il faut que ce soit possiblement inspiré par hier, complètement adapté à aujourd’hui et que cela indique la façon dont ça va évoluer demain. » nous répète la voix grave d’Andrée Putman dans une interview projetée dans une partie décalée de l’exposition. La grande dame aime mêler les époques et les matériaux avec toujours en tête deux éléments essentiels : la lumière et l’espace, auxquels elle ajoute un goût marqué pour le noir et le blanc qu’elle a su adoucir avec le temps d’un camaïeu de beige et de gris.
Morgans, 2008. © Nicolas Koenig courtesy of Morgans Hotel group
La première partie de l’exposition se trouve au premier étage. Elle retrace le parcours d’Andrée Putman de ces premières années aux éléments qui ont servi de base au style Putman, en passant par sa collaboration avec les magasins Prisunic en 1958 et ses années à la rédaction du magazine d’art L’Oeil.
Andrée Putman nait en 1925 à Paris dans une famille bourgeoise de banquiers entre une mère pianiste et un père normalien. Elle passe son enfance entre son appartement du VIe arrondissement et l’abbaye de Fontenay, abbaye romane du XIIème siècle abritant jadis les ateliers des frères Montgolfier dont elle est l’une des descendantes par sa mère. Cette première rencontre avec l’architecture va marquer durablement sa sensibilité artistique, forgeant son goût pour les espaces sobres, simples, voire austères.
Boutique GUERLAIN Champs-Elysées, 2005 © Eric Laignel
Musicienne de formation, elle reçoit un premier prix du Conservatoire de Paris à 19 ans mais rebutée par la vie d’ascète à laquelle elle semble promise, elle se tourne vers le journalisme pour différents magazines, avant de devenir la directrice artistique du rayon « Maison » des magasins Prisunic en 1958. Mariée au collectionneur, éditeur et critique d’art Jacques Putman, elle entretient alors d’intimes relations avec le petit monde de l’art et fréquente donc bon nombre d’artistes parmi lesquels Niki de Saint Phalle, Giacometti ou encore Samuel Beckett.
Le Concorde, 1991 © Deidi Von Schaewen
Dès 1968, elle est alors repérée dans l’agence de style Mafia par Didier Grumbach qui l’engage afin de créer une nouvelle société à l’origine orientée vers le développement du prêt-à-porter et du textile Créateurs et Industriels. Elle y découvrira entre autres de nombreux talents tels que Jean-Charles de Castelbajac, Issey Miyake ou Thierry Mugler. C’est à cette période qu’Andrée Putman s’essaye à l’architecture d’intérieur en aménageant des bureaux dans d’anciens locaux SNCF.
Boutique GUERLAIN Champs Élysées, 2005. © Eric Laignel
En 1978, Andrée Putman lance sa propre société Ecart à laquelle succédera vingt ans plus tard l’Agence Andrée Putman qu’elle dirige toujours à Paris dans le XIVème arrondissement. Elle se spécialise dans la réédition de mobiliers de designers des années 1920 et 1930 tels que Jean-Michel Frank, Eileen Gray, Pierre Chareau ou encore Robert Mallet-Stevens que l’œil infaillible de l’architecte d’intérieur a su remettre en scène. C’est ainsi qu’elle commence une brillante carrière entre design et architecture d’intérieur qui la consacre aux quatre coins du monde et notamment à New-York, où elle incarne le « style à la française ».
Le rez-de chaussée de l’exposition est l’occasion de découvrir, en partie sur un long podium noir laqué, des créations emblématiques d’Andrée Putman et des reconstitutions de lieux qui ont fait sa renommée. Quelques vidéos enrichissent le tout et permettent de donner la parole à cette grande dame du design.
Morgans - 1984 salle de bains © Deidi Von Schaewen
La fameuse salle de bain à damier noir et blanc de l’Hôtel Morgans à New York créée en 1984 a été reconstituée pour l’exposition. Disposant d’un budget limité, l’architecte d’intérieur était parvenue à faire d’un matériau bon marché, le grès cérame, le summum du chic à Manhattan dans les années 80.
Piano à queue Voie Lactée © Marc Abel
On peut également admirer le magnifique piano à queue Voie Lactée dessiné pour Pleyel en 2008, l’intérieur d’un Concorde savamment reconstitué ainsi qu’une très belle réinterprétation du sac Steamer de Louis Vuitton devenu une nacelle de montgolfière en guise d’hommage à ses illustres ancêtres.
Appartement d'Andrée Putman © Deidi von Schaewen
En rejetant sans ambiguïté tout ce qui relève du « bon goût » traditionnel sans aucun risque ni originalité, Andrée Putman est devenue dans le monde entier l’ambassadrice d’un style, le « style à la française », mélange d’épure et d’originalité lui donnant tout son caractère. Cette exposition, bien que petite, permet de se rendre compte pleinement de ce que cette grande dame a apporté au design et à l’architecture d’intérieur moderne. Bien qu’on puisse déplorer parfois le manque d’explications de certaines compositions, on comprend aisément l’esquisse d’un style, les prémices d’explications d’une beauté relative mais qui perdura encore pendant des années, hors de toute considération technique.
Après tout, « la beauté c’est le mystère d’une harmonie, un moment de grâce qui ne s’explique pas« , n’est-ce-pas Madame Andrée Putman ?
Exposition Andrée Putman, ambassadrice du style
Hôtel de Ville de Paris Salle Saint-Jean
5 rue de Lobau
75004 Paris
Tous les jours sauf dimanches et jours fériés, de 10h à 19h – Gratuit
Agence Andrée Putman Tél. : +33 1 55 42 88 55 www.andreeputman.com
Marie-Odile Radom