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Jean-Louis Barrault aurait eu cent ans.

by Woesland
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Le centenaire de Jean-Louis Barrault (1910-1994) ne pouvait rester sous silence. Pour redécouvrir les différentes facettes de ce monstre sacré du théâtre, Jeanine Roze, productrice des Concerts du dimanche matin, a lancé une idée originale et inspirée. De septembre 2010 à juin 2011, il sera possible de suivre un parcours à Paris, composé de lectures, projections, performances, concerts, expositions, jalonné par les lieux représentatifs des temps forts de la vie de Jean-Louis Barrault.

Jean-Louis Barrault, dans sa prime jeunesse. DR

Au fil du temps, dans les mémoires, il demeure Baptiste, l’homme en blanc des Enfants du Paradis. Au fil du temps, on se souvient qu’il a fréquenté les surréalistes, qu’il était proche d’Antonin Artaud et de la bande à Prévert ; qu’il était complice et metteur en scène des pièces de Claudel. Avec nostalgie, on se remémore Madeleine Renaud avec qui il avait fondé la compagnie Renaud-Barrault, devenue la première ambassadrice du théâtre français dans le monde. Et puis, si l’on cherche bien, on découvre qu’il était aussi éditeur, qu’il entretenait également des liens étroits avec la musique et l’architecture. En fait, il avait une insatiable curiosité pour toutes les formes d’expressions artistiques. Quand on se plonge dans la vie de Barrault, explique Jeanine Roze, c’est le choc. Il fréquentait des écrivains comme Samuel Beckett, Nathalie Sarrault, Camus, Ionesco, Duras, des compositeurs comme Pierre Boulez qui fut le directeur musical de sa compagnie pendant plus de dix ans, des décorateurs… Même Yves Saint-Laurent a habillé Madeleine Renaud… C’était vraiment un visionnaire !

Aussi, on ne s’étonnera pas de découvrir la longue liste des lieux qui jalonneront le parcours du centenaire :  Théâtre du Vesinet, Théâtre de l’Atelier, Grenier des Grands-Augustins, Comédie Française, Cinémathèque Française, Théâtre Marigny, Théâtre de la Ville, Théâtre du Palais-Royal, Théâtre National de l’Odéon, Musée d’Orsay,  Théâtre du Rond-Point, Théâtre Antoine, Théâtre des Champs-Elysées, Centre National du Théâtre, Opéra National de Paris…  Autant de lieux dans lesquels les artistes qui ont connu, aimé, admiré Jean-Louis Barrault viendront témoigner, jouer, lire… Autant d’images, de souvenirs, de paroles rapportées…

C’est un parcours à vivre avec Jean-Louis Barrault, souligne Jeanine Roze avec une émotion dans la voix. Comme si son rêve était que l’on puisse de scène en scène non seulement rencontrer l’artiste, mais surtout découvrir l’homme qu’il était.  J’aimerais qu’on puisse partager un peu de son âme, parce qu’il sera partout présent… Pour bâtir ce parcours, il a fallu qu’elle se plonge dans la vie de l’artiste, relise Souvenirs pour demain, ouvrage dans lequel il retrace sa vie de créateur, entreprenne de nombreuses recherches sur sa vie, ses amis, et rencontre les comédiens qui le citent aujourd’hui comme Denis Podalydès de la Comédie-Française. Pourtant, Jean-Louis Barrault était loin d’être un inconnu pour elle. Je l’ai rencontré en 1975, je débutais dans la production de concerts, et je recherchais une salle. Le théâtre d’Orsay (dans l’ancienne garde d’Orsay) qu’il dirigeait à l’époque était le lieu où il fallait être. Il y avait une énergie, un esprit de liberté, quelque chose de foisonnant. C’était culotté de ma part d’y aller comme ça, mais je ne m’en rendais pas compte. J’ai donc été reçue par Jean-Louis Barrault. Je lui ai évoqué mon idée d’organiser des concerts gratuits le dimanche matin où l’on présenterait des jeunes artistes peu connus du grand public. Je me souviens très bien de ce moment-là. Quand il m’a dit : « Voilà, je te donne mon théâtre. »  C’est comme ça que sont nés les Concerts du dimanche matin. Et cela fait 35 ans que ça dure !   Sans Jean-Louis Barrault, je ne serai pas là ! On comprend pourquoi c’était si important pour Jeanine Roze de célébrer ce centenaire. Je ne pouvais pas ne rien faire !

Le parcours, pourtant, n’aura pas été facile à monter. Au début, personne n’y croyait. Alors, je me suis directement adressée à Pierre Boulez. C’était impensable qu’il ne soit pas lié à cet hommage.  Il  m’a dit OUI. Tout de suite. Et dans la foulée, j’ai eu le soutien de Pierre Bergé. A force d’obstination, elle a su s’entourer de partenaires comme l’Institut national de l’Audiovisuel et la Bibliothèque Nationale de France – département des Arts du spectacle, et convaincre les théâtres privés comme publics à participer à cette aventure. Ainsi, il n’y aura pas d’opérations spectaculaires. On a fait modestement ce que l’on pouvait faire… Cela nous a obligé à aller chercher en profondeur. Rester au plus proche de ce qu’était Jean-Louis Barrault. Un homme profondément inspiré, à l’écoute des autres. Un artiste généreux.

Quelques événements à noter dans son agenda…

– Théâtre de l’Atelier Charles Dullin, 13 septembre 2010

C’est sûrement dans ce théâtre que tout a commencé pour Jean-Louis Barrault. Le 6 septembre 1931, le jour de ses vingt ans, il débutait à l’Atelier avec un tout petit un rôle de domestique dans la pièce Volpone du dramaturge Ben Jonson, adaptée par Jules Romains et Stefan Zweig. Je naissais pour la deuxième fois, écrit-il dans Souvenirs pour demain, un ouvrage où il raconte ses travaux, ses intuitions, ses difficultés et qui fera justement l’objet d’une réédition en septembre. Deuxième naissance, pourquoi ? C’est dans la troupe de l’Atelier que Jean-Louis Barrault rencontre un autre jeune acteur Etienne Decroux, qui stylisait son rôle et le jouait presque en dansant. Très vite, tous les deux devinrent complices et partirent à la recherche d’un mime nouveau. Decroux est le chercheur, explique Jean-Louis Barrault, il a le génie de la sélection. Il ne laisse rien passer. Devant lui, j’improvisais : lui choisissait, classait, retenait, rejetait. Et nous recommencions. C’est ainsi que la fameuse marche sur place nous prit trois semaines à calculer : déséquilibres, contrepoids, respiration, isolement d’énergie… Cette quête d’absolu et de perfection, il sera possible de la découvrir, le 13 septembre 2010, par une lecture de Fabrice Lucchini (sous réserve) et par la projection d’un film d’archives de l’Ina. Et pour mettre en perspective le mime, cet art si cher à Jean-Louis Barrault, une carte blanche sera donnée à Camille Boitel, qui a présenté cet été son spectacle l’Immédiat au festival du mime de Périgueux, Mimos.

– Odéon Théâtre de l’Europe : Pierre Boulez rend hommage à Jean-Louis Barrault, le 19 novembre 2010

Ce n’est pas un hasard si Pierre Boulez a choisi de rendre hommage à Jean-Louis Barrault en donnant à entendre avec l’Ensemble intercontemporain – Incises, une des pièces qu’il a composée en 1996 et – Histoire du Soldat de Stravinsky. La première est en quelque sorte représentative de son style musical. La seconde mêle musique et théâtre. Une belle synthèse qui reflète la collaboration exceptionnelle des deux artistes. C’est Arthur Honnegger qui présenta Pierre Boulez à Jean-Louis Barrault en 1946. Le jeune homme deviendra le directeur musical de sa compagnie pendant plus de dix ans, et grâce aux tournées internationales de la troupe, nouera des liens avec d’autres artistes et découvrira des modèles efficaces d’organisations de concerts. Ces expériences donnèrennt naissance en 1954 aux Concerts du Domaine musical au sein même du théâtre de Jean-Louis Barrault. Son attachement à la musique était profond, indissociable de sa quête d’un théâtre total. Notre art devient justement enivrant dès qu’il reste pris par le rythme et qu’il tend vers la musique, écrit-il. Aussi, a-t-il fortement contribué à révéler le travail d’une nouvelle génération de musiciens.

La Symphonie fantastique dans la nef du Musée d’Orsay, le 7 décembre 2010

Quand le public entrait dans la gare d’Orsay, dans le théâtre d’Orsay, il était dans une espèce de grenier d’acteur ; il était chez lui. Il n’y avait pas d’entrée d’artistes : les artistes entraient par la même porte que le public, écrivait-il encore. Ce qui était vraiment magique, raconte Marie-Françoise George, qui fut membre de la compagnie Renaud-Barrault de 1974 à1981, c’est qu’on ne pouvait pas s’échapper des uns des autres. On était tous ensemble. Pour faire renaître cet esprit de famille, le 7 décembre prochain, le Musée d’Orsay proposera un concert dans la grande nef, où, tous ensemble, assis par terre, nous pourrons écouter La Symphonie fantastique de Berlioz, interprétée par l’Orchestre philharmonique de Radio France sous la direction de Myung Whun Chung. Pourquoi ce compositeur ? Parce que Jean-Louis Barrault incarna Hector Berlioz dans le film éponyme de Christian Jaque. Ainsi, d’un art à l’autre, il tendait des passerelles…

– Le Théâtre des Champs-Elysées

Jeanine Roze rendra également hommage à l’artiste en lui dédiant quatre Concerts du dimanche matin,  le dimanche 10 octobre à 11H, le 12 décembre, le 14 novembre, et le 29 mai 2011.

Pour ne rien perdre des confessions du créateur, l’Ina sortira en septembre dans la Collection les Grandes heures INA/RADIO France un coffret de trois CD contenant les entretiens radiophoniques que Barrault réalisa pour France Culture en 1980 avec le critique dramatique Guy Dumur. Témoignage sur les événements marquants de l’époque, mais aussi éclairage sur des aspects peu connus de son métier et de sa vie, il sera enfin possible d’accéder à la pensée profonde d’un homme qui, du mime jusqu’au cinéma, n’a cessé  d’apporter sa créativité singulière.

www.centenairejeanlouisbarrault.fr

www.jeaninerozeproduction.fr

Photo – Fonds BNF – département Arts du spectacle. DR.

Propos recueillis par O. Woesland.


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