Vacheron Constantin, la plus ancienne maison d’horlogerie du monde, est synonyme d’excellence. Rencontre avec Jean-Yves Di Martino, directeur France de cette firme suisse, qui s’exprime au sujet de l’éthique de la marque, de sa position sur le marché et de ses différents axes de travail. Une personne sincère à l’image de la marque qu’il représente.
Comment êtes-vous arrivé à la tête de Vacheron Constantin France ?
Je suis entré dans le groupe Richemont il y a 25 ans. Je fais partie des anciens ! J’ai commencé par les accessoires Cartier. Ensuite, un poste s’est libéré dans l’horlogerie. C’est là que je suis entré dans ce domaine. Puis, en 1996, le groupe a racheté Vacheron Constantin. Deux ans après, une fois que le groupe avait eu le temps de bien comprendre la marque, on m’a proposé cette place sur le marché français.
Comment la marque a-t-elle évolué depuis votre arrivée ?
Sur le marché français, le défaut principal de Vacheron Constantin il y a 10 ans était son manque de notoriété. La marque manquait d’investissements, notamment au niveau de la communication. Notre première tâche a été d’obtenir des budgets pour remettre la marque à niveau sur le marché français. Les gens la connaissaient mais elle était un peu oubliée. Ils n’arrivaient pas à situer des modèles, des formes, des mouvements.
Le travail était de redonner sa place à Vacheron Constantin sur le marché français auprès des autres marques historiques de haute-horlogerie : Patek Philippe, Audemars Piguet et Breguet. C’est chose faite, la marque est désormais très présente. On a de très bonnes retombées presse, grâce à nos efforts de communication mais aussi car on propose des produits très intéressants. Je pense notamment aux montres reproduisant les masques du musée Barbier-Müller de Genève. Vacheron Constantin est une des rares marques qui puisse se permettre de puiser dans l’histoire, dans la culture. Les gens n’ont pas été surpris par ce projet, si ce n’est par la qualité des pièces.
N’est-ce pas contraignant d’avoir un passé aussi riche que celui de Vacheron Constantin ?
On peut créer sans détruire le patrimoine. C’est une phrase de Monsieur Perrin quand il était chez Cartier. Elle est valable pour toutes les marques de luxe. Le piège à éviter, c’est d’aller trop loin. La question est de savoir quelle est la limite à ne pas dépasser, en avançant quand même.
Le développement répond aux attentes de nos clients collectionneurs mais s’adresse aussi aux clients potentiels que l’on n’aurait peut-être pas encore sensibilisés à la marque. Mais il est très difficile de monter et très facile de redescendre. Il faut s’assurer de maintenir un niveau de qualité esthétique, technique et de finitions.
Comment s’est mis en place ce partenariat entre le musée Barbier Müller et Vacheron Constantin ?
Il est né de la rencontre entre Monsieur Barbier-Müller et Monsieur Torres, CEO de Vacheron Constantin. Monsieur Barbier-Müller est l’un des plus grands, si ce n’est le plus grand, collectionneur d’art primitif au monde. Monsieur Barbier-Müller, qui avait été déjà très souvent sollicité par les musées désirant s’inspirer des masques pour en faire des « produits dérivés » à vendre dans leur boutique, n’avait jamais accepté.
Lorsque la marque a proposé un partenariat avec le musée en suggérant de reproduire les masques dans des montres, Monsieur Barbier-Müller a d’abord cru que ce n’était pas possible. On a alors fait des tests. Il a accepté en voyant la qualité de la réalisation et le respect dans lequel le travail avait été effectué ; même les signes du vieillissement du masque avaient été reproduits.
On a ensuite contacté le poète Michel Butor qui a, pour chaque pièce, écrit quatre vers inspirés par son ressenti vis à vis du masque reproduit. C’est une série limitée.
Chaque année depuis trois ans, on présente un set de quatre masques. Cette année c’est le dernier. On s’arrête là par respect pour les collectionneurs. On assure ainsi dans le temps la valeur de ces pièces à toutes les personnes qui ont investi dans ces montres, qui coûtent quand même 300 000 euros les quatre.
Réalisez-vous des montres sur-mesure ?
La marque propose deux axes différents : la possibilité historique en quelque sorte, c’est-à-dire le sur-mesure hérité du passé, et la famille Quai de l’Ile, qui permet la personnalisation d’une montre de base.
Depuis 1755, on a réalisé des montres sur commande car pendant environ cent-cinquante ans, les riches bourgeois commandaient déjà des pièces. La notion de séries est arrivée plus tard.
On a un atelier à la boutique de Genève, l’atelier des Cabinotiers, qui répond aux demandes à partir du moment ou celles-ci respectent les codes de la marque. On ne souhaite pas aboutir à des créations qui s’éloignent trop, au niveau des couleurs ou des matières, de ce que l’on a l’habitude de faire. Il y a un certain cahier des charges à respecter. Il faut obtenir l’accord du CEO de la marque avant de pouvoir réaliser une pièce sur-mesure.
Comment se met en place la réalisation d’un modèle sur-mesure ?
Le client rencontre le directeur de la boutique et le patron de l’atelier des Cabinotiers. Ils définissent ensemble la direction. Il y a trois possibilités : on peut associer une boîte existante à un nouveau mouvement, un mouvement existant à une nouvelle boîte, ou procéder à une création complète. Dominique Bernaz qui s’occupe de cet atelier fait travailler les dessinateurs en fonction des envies du client et de la fourchette de prix convenue. Ils se revoient, Dominique présente les propositions et ils font les changements qui doivent avoir lieu. Une fois qu’ils se sont entendus sur l’esthétique et la technique, un devis est établi, le client paie une partie de la montre qui sera réalisée en un, deux ou trois ans selon la complexité du travail.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la famille Quai de l’Ile ?
Quai de l’Ile est une gamme que l’on a crée l’année dernière, basée sur le principe de personnalisation à partir d’une forme existante. Il existe une montre de base que le client va pouvoir personnaliser en mélangeant à son gré titane, or rose et palladium, visualisant le rendu grâce à un programme internet ou à une tablette d’essai. On peut donc arriver à une montre qui aura une couronne en titane, la lunette en or rose et le reste de la boîte, la carrure, en palladium par exemple. Il choisit également le profondeur de son cadran, s’il veut un cadran clair, moyen ou foncé et la couleur du bracelet. Il y a à peu près 400 combinaisons possibles. La montre est réalisée en dix semaines. On peut également faire une gravure personnalisée. Nous sommes la première marque à avoir proposé ce genre de choses. C’est un travail très complexe.
Vous proposez des lignes très variées, quel est le fil rouge entre les différents modèles Vacheron Constantin ?
Si l’on met côte à côte une Patrimony, une masque et une Quai de l’Ile, on va retrouver la même qualité de fabrication, de mouvement. Elles diffèrent par leur esthétique et leur concept. La deux aiguilles classiques, la montre qui a une orientation très culturelle avec les masques et la Quai de l’Ile qui est une pièce très contemporaine. Nous ne sommes pas une marque de grand écart, on reste dans ce que l’on sait faire mais on on creuse au sein de notre champ d’action.
La Chine est le pays dans lequel vous avez le plus de boutiques, adaptez-vous certains modèles à ce marché ?
Il se peut que, dans certaines familles, des modèles soient spécifiques au marché chinois (ou autres) mais on ne veut pas pousser cela trop loin car l’offre serait ainsi fragilisée, car trop axée sur le goût de certains clients. Mais je citerais l’exemple de l’or rose. C’est l’Asie qui la première à été très intéressée par ce matériau et lui a petit à petit donné un impact mondial.
Ressentez-vous la crise ?
Non, pour l’instant, tout va bien. Pendant la période des cinq ou dix ans qui a connu un développement exponentiel des demandes dans le domaine de l’horlogerie, on a bien-sûr joué un rôle important mais on n’a jamais pu répondre à cent pour cent à cette engouement, car on ne voulait pas augmenter notre capacité de production en risquant de diminuer la qualité de fabrication. On a toujours gardé notre rythme. On est restés sur nos canons de fabrication. De ce fait, nous répondons aujourd’hui à certaines demandes que l’on n’a pas pu satisfaire pendant cette période. On garde ainsi notre rythme habituel, même pendant la crise. Nous sommes restés très stables, en pensant au long-terme.
On sent toutefois que les points de vente font très attention à leurs investissements, ils ont recentré leurs marques sur des valeurs plus sûres dont on fait partie. C’est venu des clients finaux, qui sont plus prudents, se dirigent vers des valeurs sûres.
Comment expliquez-vous que Vacheron Constantin dure depuis si longtemps ?
Vacheron Constantin est une marque très pérenne, classique mais ouverte à la nouveauté. Avec cette façon très contemporaine de travailler, elle a su toucher toujours de nouveaux points de vente. Elle a su s’adapter à la demande, à la vie des gens. Ce sont peut-être aussi les gens qui se sont adaptés à elle. Il y a sûrement un peu des deux.
Si la marque dure depuis 254 ans c’est qu’elle a sans cesse été contemporaine. Cela n’a jamais été une marque révolutionnaire au niveau esthétique mais elle a toujours été dans son temps.
www.vacheron-constantin.com
Boutique Vacheron Constantin, Genève (adresse temporaire) :
1, place de Longemalle
1204 Genève
Isabelle Huber