Home Art de vivreCulture Rencontre avec Stephanie Pfriender Stylander : L’humeur des années 90 ? Liberté

Rencontre avec Stephanie Pfriender Stylander : L’humeur des années 90 ? Liberté

by Manon Renault
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En un geste, le photographe peut devenir historien. En pressant le bouton du déclencheur, c’est tout un instant de vie – réel, fantasmé, peu importe, qu’il capture à jamais. Alors qu’il exécute ce geste, le photographe ne se doute peut-être de rien . Il est juste à l’aurée d’un long processus de tri, d’éditorialisation et de distribution par la voix d’un magazine d’un livre, d’une galerie. Comment savoir que tout ce qui deviendra le mythe d’une époque, est là, devant ses yeux. Capturer le Zeitgest : est-ce une chose qui se prévoit ? Un rendez vous, un défilé ce sont des choses qui ont des dates- des choses prévues. En septembre dernier, Julia Gragnon donnait rendez-vous à Stephanie Pfriender Stylante à la Galerie de L’instant. Un événement planifié mais qui pourtant comportait la magie des imprévues. Des rencontres, des échanges, qui sont simplement dans le flux de la vie. L’oeil initié, c’est sans doute celui qui arrive à suspendre dans toutes ces images qui défilent, celles que l’on encadrera et que l’on conservera comme un doux souvenir. En Amérique il y a cette expression, « She’s got it ». Stephanie Pfriender Stylante a ce truc. Ce don. Ce regard unique sur les choses qui l’entourent. Et c’est l’aura des années 1990 qu’elle a capturé. À l’occasion de la sortie de The Untamed Eye et d’une rétrospective de son travail, exposé jusqu’au 28 Novembre à la Galerie de l’Instant, nous avons discuté avec elle. Tout en répondant, elle observe, et parvient aussi à saisir notre besoin de savoir: Qu’est-ce qu’étaient les années 1990 dans l’univers de la mode ?  La liberté, Kate Moss ? Aujourd’hui la place de la photographie dans l’industrie de la mode est-elle la même, ou la vitesse a-t-elle porté atteinte à la créativité ? Que reste t-il de la magie? Stéphanie c’est une sensibilité, beaucoup de travail, et de la persévérance  » Le meilleur conseil : si tu as une idée, si tu as une vision, fonce, ne fait pas de compromis »  Voilà comment on se retrouve à encadrer des photos de Kate Moss, persuadé que les années 1990 se résument dans cette légèreté fragile- cette légèreté disparue.

Que vaut l’expression avoir un « oeil » dans le cycle effréné de la mode  ?

GENERATION X : Génération sans issues ?

« Le livre se compose à la manière d’un grand magazine ou chaque histoire se répondent. Elles proviennent de différents moments, de différents shootings. Les personnages ne sont pas les mêmes, et pourtant quelque chose les relient. La liberté sans doute » . Les années 1990 sont au confluent de nouveaux espoirs. Les utopies des premiers temps, celles d’un nouveau monde libre et uni sont vite déchues. Si des murs tombent, d’autres se dressent et cela forge des gamins plein de cicatrices, à la gueule meurtrie. Ils  trouvent refuge dans la musique, les graffitis et des formes d’art extrêmes. Tout cela témoigne d’une volonté de liberté qui s’additionne d’une certaine violence. L’image lisse et parfaite d’une mode traduite par des glossy rose devient nauséeuse, et inappropriée.  » Je n’ai jamais été intéressée par les supermodels, elles ne m’intriguaient pas. Ce sont les visages qui m’intéressent, ceux qui sortent du rang, ceux sur lesquels on s’arrête. Pour créer mes histoires il fallait des filles qui incarnent. Pas des filles qui présentent bien. Non des actrices. (…)J’étais sans doute naïve, j’aurais pu  photographier Linda Evangelista et tout le monde se serait intéressé à mes photos. Mais heureusement ce n’est pas comme ça que tout le monde pense. » Avant d’arpenter Londres, Stephanie est passée par Milan et Paris. Au fil des voyages elle affute son regard et le confronte à différentes cultures. Finalement c’est elle, l' »Américaine », qui va capturer le Waif look, typique du Londres des années 90. Avec Corinne Day elles immortalisent chacune à leurs façons, une jeune Kate Moss dont les mensurations et le traits ne sont pas en adéquation avec les canons esthétiques véhiculés et refléteront les ambivalences de l’époque  « Corinne Day ! Son travail est fantastique, son univers est différents, mais j’étends bien cette idée d’une verve commune dans nos travaux. On pourrait faire un dîner des photographes de cette époque, et on serait à côté sans doute ! « . Stéfanie cerne les complexités de cette période : elle ne simplifie pas le récit. Cela fait que ses photographies marquent.

FEMALE GAZE ?

Depuis #Metoo, le Mâle Gaze, soit une image de la femme confinée au regard masculin, ne cesse d’être dénoncée. Le female gaze sera sont rempart et Petra Collins ou Coco Capitain deviennent les figures de proues de ce mouvement dans la photographie de mode contemporaine. Pourtant Stephanie est la preuve qu’un regard féminin été présent depuis longtemps.  » Je n’ai jamais ressenti de barrières particulières liées au faite que je sois une femme. Mais il est vrai que les femmes ont plus de responsabilités. Elles doivent répondre à plus d’idéaux. Dans le champ professionnel, la moindre erreur sera pointée. Elles encourent plus de critiques. On est plus dur, plus sévère. Pour obtenir du travail, en revanche, personne ne m’a jamais ramenée au faite que je sois une femme. Que ce soit dans un sens positif ou négatif, j’étais avant tout une personne avec un regard particulier.(…)Le fait d’avoir voyagé me rendait spéciale. Qu’est-ce que cette américaine vient faire à Londres? Les éditeurs, les publishers , les équipes étaient impatiente de voir le résultat. Ils étaient curieux. (…) Alors ils m’ont laissé carte blanche. Une chance !  » 

L’accélération : perte de l’originalité ?

« La vitesse la vitesse, tout tourne autour de la vitesse. Être rentable, produire encore plus. Le temps c’est de l’argent : certes la mode est un business mais ce n’est pas une machine. Et elle n’a pas à le devenir. Cela ruine le potentiel créatif de cet espace qui est pourtant extraordinaire. » La digitalisation du monde est le corollaire d’une certaine accélération. Le regard prend moins le temps de s’arrêter. Les séances de photoshoots ressemble à des mutineries ou les flashs crépitent sans cesse. La photographie, et l’art de créer une histoire à partir d’une image figée, sont des choses qui demande du temps, du travail et induit une position de spectateur qui s’accorde le luxe d’ imaginer.

« Regagner la profondeur des choses,  prendre le temps d’aller chercher du contenu. C’est essentiel. C’est pour cela que des mouvements , comme celui de Lidewij Edelkoort me semble si important. En tant que photographe, l’une de mes responsabilités est de rappeler la richesse créative permise par l’univers de la mode. Il ne faut pas perde cela. C’est un lieu ou les histoires se créent, et ou l’on peut  forger des atmosphères. (…) Au début des années 90, j’ai eu la chance de travailler avec des gens qui ne  regardaient pas dans la direction ordonnée. Valentino à 10 pages dans le magazine, est alors, peu importe. Je choisissais des vêtements : je ne regardais pas les marques. Je ne pensais qu’à l histoire que j’allais créer. J’allais sur les lieux, je faisais des repérages. Tout ce temps m’était permis car je n’avais pas à me préoccuper des contraintes publicitaires…Là on ressent la mode; là on peut rêver ». Suspendre le temps de l’industrie pour redonner du temps à l’art : n’est-ce pas là tout l’enjeu actuel du système de la mode?

Pour entretenir l’inspiration, et casser les cycles qui poussent au conformisme, Stefanie se nourrie de livres d’art, de films ( La nouvelle vague, Cassavetes ) et s’entoure de modèles hors-normes. Bien souvent des personnalités fortes. Pas de jolies visages – mais des geules « Les acteurs donnent beaucoup. Ils creusent, ils creusent, le tout avec technique. En tant que photographe c’est passionnant à voir. Ils ne posent pas, ils performent. Ce sont de performers. La notion du « moi authentique » est dépassée. Kate Moss possède également ce don. Qui est-elle : peu importe ? elle incarne. (…) She’s Endless »

Endless :  la capture de la liberté anime le travail de Stéphanie. De manière infini. Avec le temps son travail mute pour toujours conserver ce principe. Regarder dans la direction qu’elle s’est fixé-toujours. Elle est un peu le cinématographe des années 1990.
À découvrir, à La Galerie de l’Instant .

Crédit images : Stephanie Pfriender Stylander à la  Galerie de L’instant, Julia Gragon

 

 

 

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