« Ce qui nous est donné à voir c’est beaucoup plus que la beauté: c’est de l’argent, c’est du confort, c’est du bonheur, c’est presque une certaine forme d’idéal.(…) Mais nous ne vivons pas dans ces espaces claires couverts de moquette.Cette différence entre ce que nous pouvons rêver, ce qu’on nous donne à rêver et ce que nous nous sommes donnés comme rêve et la réalité beaucoup plus mesquine et rétrécie, sont à la base du vertige » (…) »La déception de la quête du bonheur, nous rend fou, nous saoule, entretient une forme de frénésie du vertige,et de l’hypnose » Georges Perec écrit son roman Les choses en 1965. Il y décrit les vertiges de la vie quotidienne. Ils parle avec poésie, de ceux qui regardent derrière les vitrines avec envie. De ceux qui une fois chez eux , feuilletant les catalogues, se rendent compte que la barrière du prix est un obstacle bien plus réel que le verre de la vitrine. Perec ne fait pas de son roman une solution à ce problème. Il cherche juste à capter la splendeur de cette éternelle envie contrariée. La mode, en tant que système magique, repose sur ce même principe. En offrant du vertige, elle nous attire inlassablement vers elle. Mais le vertige est-il le même pour tous? La vertige ne finit- il pas par devenir une violence ?
Pour certain : tout est accessible. Alors qu’est-ce qui enivre ? Le défilé Balenciaga simule la perte de gravité avec un tunnel rempli d’écran LED. Un tourbillon de chao dans lequel Gvesalia présente un défilé plus épuré. Moins de sac Ikea et Tati : le temps de la récupération de la culture populaire pour faire rêver les riches touche à sa fin ? À la place ce défilé rend un bel hommage à l’esprit moderne de Cristobal Balenciaga qui inventa le Gazar. Un luxe réservé à une élite.
En 2018, l’inaccès au luxe provoque t-il encore des vertiges ? Les magazines, les films sont ils comme autant de simulacre qui piègent les gens dans des fantaisies impossibles ?
Entre fond sous-marins, nature prospère, robes victoriennes dans champs de pailles dorés , et les couleurs sorbets- cette saison contre-balance le trop plein de macarons sucrés par des matières brutes (du lin, au jean), des coupes qui marquent les épaules et des bottines noires qui empêchent de conclure à un discours de l’idéal. La magie de la mode réside dans son ambivalence.
JOHN GALLIANO : Beauté et tourments
« Picnic at Hanging Rock » : un livre de Joan Lindsay qui laisse place en 1975 à un film de Peter Weir. L’histoire : celle de jeunes filles, à la beauté énigmatique, et au spleen incompréhensible. Une existence ou les illusions se perdent, et ou le sens à fouttu le camp.. Coincées dans des idéaux, ce sont les filles des films de Coppola. Habillées de couleurs pastels, le regard vide : elles attirent, mais sont attirées par le vide. Pour la maison Galliano , Gaytten livre une collection de robes blanches, pleines de broderies délicates. Pourtant il ne se noie pas dans la niaiserie d’une offre fleurie : les boots militaires et la dose punk rappellent que les idéaux ne sont que des idéaux, et que la mode n’est pas là pour avoir un discours polissé. Le tourmant derrière la beauté : soit un bel hommage à Galliano.
VALENTINO: Démesure et illusion
Des robes brodées de sequins, de la dentelle, des imprimés et des plumes : l’élégante sort pour arpenter les bals mondains. Une série mode qui s’imprimerait parfaitement dans un Vogue années soixantes. La célébration du glamour anime la maison Valentino dont de nombreux modèles sont plus coutures que prêt à-porter. Une plongée dans les vitrines d’un temps perdu. La nostalgie: voila une composante qui provoque à coup sûr le vertige. Une collection ou les chapeaux ne sont plus de plumes, mais de paille. Une collection qui s’ouvre sur de magnifiques robes NOIRES. En 2018, les vêtements ne se contemplent plus derrière les mêmes vitrines.Ils sont enfermés dans des diaporamas qui chargent lentement sur nos ordinateurs trop lents- ou rapidement sur le dernier iPhone. Mais déjà une autre collection est mise en ligne. C’est le drame de ces jolies plumes, elles s’envolent.
THOM BROWNE : Une réponse à McQueen
Bouches cousues. Les femmes ne sont plus que les mannequins qu’elles regardaient. Les défilés Thom Browne semblent s’inscrire dans la continuité de ceux de McQueen. Pour le dernier, on peut déceler une réponse au défilé Hiver 2008-2009 « Horn Of Plenty » .Celui de la démence du capitalisme post-crise. Accumulant robes pieds-de-poules, et rouge à lèvre outrageusement rouge sang, les mannequins tournent autour d’une décharge d’objets. Une critique acerbe et magnifique. 2018 : Thom Browne. Dix ans plus tard, les femmes restent entravées dans des vestes aux propositions extrêmes et certaines sont de véritables salades de fruits. Prête a être dévorées. Dans un décor avec petits nains, baleines, et petits chiens, la petite sirène a vomi les illusions Disney. Elle sort du film, devenue une bourgeoise dont les chaussures dépareillées, et vertigineuses témoignent d’un confort qui ne fait plus illusion. La beauté des magazines ne suffit plus pour générer l’illusion du vertige. La philosophie du vide, contre-balancé par des tenues surchargées. Un contraste qui donne un défile spectaculaire.