Du temps pour respirer ? « Pas vraiment mais tous les matins je me lève et je sais que je fais quelque chose qui me plaît. » De jolis mots, entendus maintes fois. Si bien que l’on n’y croit plus. Pourtant quand ils sortent de la bouche de Charlotte, ils sonnent justes. Charlotte est l’une de ces filles solaires à qui tout semble sourire. » J’ai bientôt 30 ans et je souhaitais faire quelque chose pour moi. (…) Pour cela je me suis coupée de tout pendant deux mois et j’ai travaillé pour créer un projet, mon projet(…) Les femmes, les chemises, donner la parole : tout cela est apparu comme une évidence ». Début 2018, elle lance Mots d’ordre. Un label de chemises blanches ou se glissent des messages, ou des dessins brodés à la main. « Roule-moi une pelle » , « oui, mais non » : tout une gamme de déclarations qui se posent sur le col ou les poignets, et redistribuent l’ordre dans les fonctions de la chemise. « Affirme-toi » : un slogan fort, celui qui résume sans doute le mieux le chemin accompli par Charlotte et celui qu’elle tend à construire pour nous toutes.
En réécoutant l’enregistrement de cette rencontre, je distingue « Bella Ciao ». Sur cette bande-son, Charlotte me parle des chemises et des symboles qu’elles véhiculent. Elle me raconte l’histoire des femmes qui l’inspire, des conditions de la prise de paroles à l’heure actuelle, et de l’auto-entreprenariat.
Mots d’ordre : Insta et Crowdfunding
Ce projet m’aide, dans le sens ou il me procure du courage (…) mais je le fais avant tout pour propager une énergie positive, pour que chaque femme se sente importante et se lance (…) leurs retours me procurent tellement (…) Je ne m’attendais pas à recevoir autant .
La chemise : une histoire d’hommes cousue par les femmes
« Les mecs ? Il faudrait les brosser dans le sens du poil et rester en retrait ?! »
Sur les patrons neutres des chemises classiques, se sont glissées tout un tas de préoccupations qui reflètent les époques. Dominations sociales et politiques : les chemises sont d’abord faites pour les hommes, ceux de la classe aisée. Le blanc éclatant rayonne comme un faisceau violent d’une classe qui n’a pas a se salir pour gagner sa vie. Les femmes, n’ont que faire des chemisettes: elle attendent sagement à la maison le retour de monsieur qui a besoin de chemises propres. En 2018 la chemise a été lessivée de toutes ces images, qui ressemblent à de vielles publicités américaines. Les femmes ont pris la chemise du business man pour la nouer au dessus du blue jean du worker, et d’autre codes vestimentaires sont nés. Vichy, bariolée, à jabot : la chemise à passé toutes les modes. « C’est un produit intemporel, un produit qui peut parler à tout le monde. Chacun a sa propre histoire, son propre souvenir lié à la chemise. Et le fait que ces souvenirs soient multiples rend la chose d’une richesse infime. J’aime le fait de croiser une femme de 60 ans, aussi bien qu’une fille de 20 ans portant une même chemise blanche.(…) Cette pièce illustre des périodes de vie en restant la même et pourtant elle est toujours différente. » Charlotte évoque cela, vêtue d’une chemise blanche qu’elle porte avec une longue jupe fluide crème. Plus qu’un style, la chemise lui donne une allure, son allure. « C’est un produit qui me correspond ! » Plus que les diktats, ce sont les publics, les corps qui ont donné sens à la chemise. Transcender les assignations : le propre de la mode ? « Les vêtements sont des moyens de s’exprimer, de se mettre en valeur, de prendre confiance en soi (…) À chaque femme de choisir son message et l’emplacement. Les mots peuvent être directs comme plus subtils. Peu importe. Ils sont là, brodés. Chemise neutre et discours impactant : c’est le mot d’ordre. »
Mots d’ordre : toutes différentes, toutes ensemble.
La mode, à l’heure de la libération de la parole des femmes.
« En ce moment, il y a une revendication globale de la part des femmes. Nous vivons sans doute quelque chose d’historique. Alors pour retranscrire les discours je ne souhaitais pas prendre un t-shirt, ou un sweat : il fallait un vêtement qui ai du panache » . L’histoire du féminisme : une histoire complexe faite de vagues qui se chevauchent mais ne se comprennent pas toujours : écarts générationnels, géographiques ou sociaux. « Chaque femme a son parcours. Je supporte les femmes, je défends les femmes : dans la vie professionnelle quand je constate des inégalités, je me manifeste. Le féminisme c’est particulier, complexe. Je n’ai pas envie de dérober la parole à des femmes dont je ne connais pas les luttes ». Alors Charlotte transforme le vêtement en espace alternatif d’expression. Une terre que chaque femme peut conquérir. Elle donne la voix, ne parle pas « à la place de ». « Les messages n’occupent pas toute la chemise. C’est une chose que l’ont peut garder pour soi, pour se donner de l’élan. En fonction des générations la broderie est différente. »Piège à cons » où « fais-moi vibrer »: ça fonctionne bien chez les jeunes filles ». La nouvelle génération affirme son droit à la séduction, au désir. « À partir du moment où on se sent belle on a envie de déplacer des montagnes. Se sentir belle …On ne dit jamais assez aux filles qu’elles sont belles. La mode n’est pas forcément le milieu le plus à même pour cela(…) Je propose à mes clientes de m’envoyer des photos d’elles avec les chemises (…) J’adore recevoir leurs messages et voir qu’elles jouent le jeu. Se prendre en photo, faire des montages : elles créent à leur tour, et j’espère qu’elle se sentent belle ».
« Les femmes se retrouvent dès qu’on leur offre la liberté de choisir leurs mots »
En 2018, les femmes ont gagné le droit d’être belle, sans être reléguée au frivole, de travailler sans être traitée de dominatrice sans coeur, de vieillir en gardant le droit au désir. Pourtant tout cela reste difficile. Le droit à s’affirmer reste une lutte quotidienne. « Dans la vie personne ne va te tendre la main, c’est à toi de t’affirmer ».
Mots d’ordre : Vivre sa vie
Pendant deux mois Charlotte a écumé les autos sur internet, les bouquins. Elle a écrit sur des morceaux de papiers, déchirer, recommencer. Une détermination folle. Une détermination qui impressionne. « Le site, Instagram : j’ai tout fait toute seul. Je ne savais pas : j’ai appris. En bossant, tu peux y ‘arriver. Il faut se donner à 200% ». Rien d’étonnant dans ce discours quand on regarde l’histoire de Charlotte. Très vite elle décide de s’assumer et fait de la quête de connaissances le mot d’ordre de sa carrière « Je bosse dans la communication à la base. Peu importe le secteur: ce sont les missions qui m’intéressent. Après c’est à moi d’apprendre les codes et de m’adapter rapidement. J’ai bossé dans des banques d’investissement, le voyage d’affaire, le para-médical, la mode..ente Hong-Kong et Paris. » Quand elle parle, on se dit qu’a même pas 30 ans, Charlotte a déjà vécu des millions de vies. C’est sans doute cette énergie solaire qui transparaît dans ses créations. C’est sans doute ses multiples expériences qui calibrent la richesse de sa marque, et fait qu’aucune femme n’est oubliée.
Mots d’ordre : découdre la peur de l’échec
Pourtant ce n’est pas sans peur que Charlotte s’est lancée « Faire un projet pour soi : ça demande du courage mais c’est essentiel. J’avais besoin de ce moment pour me recentrer sur moi. Il faut se connaître. » Du temps pour se connaître : entre des études de plus en plus longue et le poids des stéréotypes qui pèsent sur les jeunes qui entreprennent, rien n’est facile. « La société nous a inculquée cette idée de l’échec. La génération qui arrive grandit avec l’idée que peu importe ce qu’elle fera, le marché est saturé. Dans un même temps les outils pour s’exprimer sont de plus en plus accessibles. Ils sont juste à notre porté. Mais personne ne nous facilite la tache pour nous en emparer ». Avec son projet , Charlotte fait plus que habiller les femmes, elle inspire à agir.
« On a toutes des histoires qui ne demandent qu’à s’affirmer »
Mots d’ordre : tendresse et transmission
Les souvenirs des femmes en chemises, les mains de sa grand-mère qui brodent : » Je crois que c’est un peu une histoire de famille. Ma grand-mère est couturière. Toute jeune elle m’a appris à coudre. C’était des moments uniques que nous partagions toutes les deux. Ce sont des souvenirs précieux qui m’ont portés. (…)Je me suis prise de passion pour la broderie, mais surtout pour ces instants. Aujourd’hui c’est moi qui lui apprend de nouveaux points ! C’est super car c’est une personne tellement ouverte: ça fait d’elle une femme éternellement moderne. » Le regard de sa grand-mère, de sa famille sur son travail sont essentiels pour Charlotte : » Quand je leur ai montré, ils m’ont tout suite dit : ce projet c’est toi, fonce ! » Tout cela n’a rien d’un discours galvaudé : il est vrai que ce projet c’est elle. Sobre, lumineux. Les fantasmes, les belles images l’apparat: que ce soit dans ce qu’elle dit ou ce qu’elle fait, cela n’intéresse pas Charlotte. Pour ses inspirations elle répond avec franchise : »Bardot est magnifique, ou Aretha Franklin . Mais je ne les connais pas : je peux pas dire que je me sente proche d’elle. Je ne peux pas m’associer à une personne-image, que je ne connais pas, ou que partiellement. » Loin des simulacres ce sont sa grand-mère et sa mère ses deux plus grandes sources d’inspirations. Désormais les femmes avec qui elle échange peuvent s’ajouter à la liste. » Celle-ci m’a envoyé des montages dingues, j’adore! «
L’air de rien, préparant son pop up store ( 17, 18 juin), Charlotte a transformé les chemise en un espace pour les femmes. Les plus belles paroles : sans doute les aveux a demi-mot d’une mère qui admire sa fille inconditionnellement. » Ma mère travaille dans une banque. Elle porte la chemise « oui mais non » en gris perle. Elle m’a confié qu’il y a quelques années elle n’aurait pas osé, mais qu’au fil du temps elle se sent plus libre » Mots d’ordre : être libre d’osez.
Les hommes sont les bienvenus : leurs amours et leurs maladresses nourrissent de belles histoires.