Fin de l’ Automne/Hiver 2018-2019, avant même qu’il n’est débuté. Fin des pluies de doudounes colorées, des pulls à motifs montagnards, des franges westerns, des pantalons à pinces, des jeans oversizes, des pointes de jaunes et imprimés pythons. Une fin d’hiver, aussi triste qu’une fin d’été. Une nostalgie d’un futur inconnu nous envahie : au défilé Agnès B. on entend « I »ll miss you all summer ». Épisode fleurs bleues pour une journée ou la délicatesse est mise en avant : dans les cuirs de Dunhill London ou de Paul Smith, ou les imprimés du défilé Kenzo qui s’est conclu sur un Slow.
L’été, les amours de plage, et le capital jeunesse qui s’évapore au contact des rayons brûlants du soleil. Tout se barre encore. La mort : le nouveau combat ? . La vie d’Alaïa s’en est allée en novembre dernier. Son corps ( son enveloppe charnelle pour être biblique) s’en est allé – mais son oeuvre elle, est là à jamais. Hissée telle les sculptures de notre civilisation dans une exposition orchestrée par Olivier Saillard. Soixante pièces coutures, choisies par Saillard , historien de la mode qui évoque le travail d’ Alaïa comme « la rechercher d’une couture définitive, dont il est le virtuose, même m s’il ne le montre pas. » Une exposition qui se tiendra jusqu’au 10 juin 2018, au 18 rue de la Verrerie, là ou Alaïa vit encore.
Pour l’occasion de nombreux artistes sont venus rendre hommage au couturier. Orlan, qui se bat pour affranchir le visage de la femme lance: »Je demandais son âge à un petit garçon pour briser la glace. Là il baisse la tête et me répond : apparemment c’est six-six ans…mais j’ai cinq ans : il a tout compris! »
Alors est-là le combat à mener, revenir en arrière comme Benjamin Button? NON
Refuser de rejoindre l’image d’un soi qui vieillit ?
Si penser en termes de tendances, qui vont et reviennent était dépassé : la mode ou la mémoire du futur. Par delà les étés et les hivers, la jeunesse et la vieillesse, la mode nous projette dans le perpétuel mouvement du devenir. Alors il est bien triste de quitter cette semaine.
Dunhill London : cuir à perpétuité
Une collection dite en cohérence avec son héritage. Fondée en 1893 par Alfred Dunhill, Dunhill London fabriquait des selles pour chevaux. Un peu notre Hermés. Depuis un an la marque renait grâce aux créations de Mark Weston, ex de chez Burberry. Un travail qui se concentre autour du cuir, soit quelque chose qui habite, qui enferme. Pour refuser cette assignation à héritage, le créateur se détache avec timidité de la garde robe rigide des hommes d’affaires par des blousons de motards. On reste dans une virilité qui répond à l’i imagerie de le pop culture : Marlon Brando à Wall Street ?
Agnès B , Songe d’une nuit d’été
Le pouvoir de fascination d’une nuit d’été vient peut être de la magie du souvenir qu’il imprime : il transcende les temps, il survit aux hivers et s’élague des points de tristesses. De même, les vêtements d’Agnès B. aident à surmonter les saisons de froid. Pour cette collection la créatrice nous propose un voyage dans le trombinoscope des amours passés et à venir. Diverses beautés, divers styles : des sweats à capuche imprimés habillent les artistes d’art urbain, protégés par la créatrice. Mais Agnès B. ne se contente pas d’explorer le street wear: c’est également ce jeune hippie aux vestes en mouton retourné et cheveux longs que l’on suit dans une caravane; ce jeune premier à casquette et pantalon de laine que l’on a rencontré à Saint-Malo, ce rockeur de garage avec ses cuirs et pantalons slims ou ce Mister Big ,dandy insaisissable. Une célébration de la beauté masculine-des beautés en somme.
Kenzo : Le contre Blow-Up?
Un show qui présente autant de modèle masculins que féminins. Pour cette tendre collection, Kenzo joue la carte vintage avec des imprimés fleuris, des robes cocktails, des chemises légères et des pochettes pleines de joyaux. Un retour dans l’élégance des années cinquantes. Des époques non-vécues mais imaginées et réinventées au fil des films et des musiques. Une époque qui permet de se bercer d’illusions. Une époque dépoussiérée de fantasmes dans le Blow-up d’Antonioni : derrière les tonnes de laque, les robes Courrèges, et les unes de féminins sans failles; la vacuité du temps hantait déjà l’époque. Kenzo semble dire « Slow down ».
La Recherche de la Fontaine de Jouvence : une quête qui traverse les civilisations. Si la mode refusait finalement cette assignation à la jeunesse. Avec des beautés diverses chez Agnès B. , le retour d’un tailoring sans tabou, chez Paul Smith ou Dunhill London, Paris nous montre que la production de la jeunesse n’est pas un marché sans périls. Une fashion Week qui n’est pas tombée entièrement dans l’athleisure, le sportwear, ou l’urbain sporto-montagneu fluo. Des nouveaux noms ont trouvés leurs places sans éradiquer les anciens.
Un moment fleurs bleues, car après tout la rose bleue est la réponse à de nombreuses énigmes. Une fashion week moins compliquée que l’épisode 8 de la saison trois de Twin Peaks. Hommage à Lynch, que l’on retrouve chez Christian Dada. Entre Eraserhead et Blue Velvet, un hommage de velours à un homme à fait du temps une énigme. Lynch prenait justement un an ce 20 janvier. Enfin peut-être? ( Cf: Orlan)