Home ModeFashion Week « La Bella d’Alghero » : Antonio Marras Réinvente le Mélodrame

« La Bella d’Alghero » : Antonio Marras Réinvente le Mélodrame

by pascal iakovou
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Au cœur d’une quête passionnée, la collection Automne/Hiver 2025 d’Antonio Marras s’articule autour de « La Bella d’Alghero », un mélodrame méconnu, composé en 1892 et redécouvert par hasard dans les archives musicales de Pesaro et de Bologne. Cette pièce, dont la partition fut soigneusement reconstituée, offre un scénario haut en couleur : un triangle amoureux compliqué par la jalousie, l’honneur, et l’ombre tutélaire de Capo Caccia, promontoire cher aux habitants de la ville d’Alghero. Le dénouement dramatique, évoquant un saut vers l’inconnu, traduit toute la fougue de ce conte lyrique.

C’est cette même intensité que l’on retrouve dans les créations d’Antonio Marras, où l’hybridation des matières raconte la richesse narrative. Les tweeds, draps de laine, fil-à-fil et satins côtoient des jacquards ottomans et des brocarts damassés. Le créateur emprunte autant à l’esthétique sombre des mélodrames italiens qu’à l’énergie solaire de la culture catalane. De subtils motifs floraux, inspirés par les roses qui émaillent le récit, se déclinent en imprimés photographiques, en broderies délicates ou en flocking audacieux. Cette fusion d’inspirations multiples, magnifiée par des touches artisanales, confère à l’ensemble une aura de mystère et de raffinement.

La mise en scène, telle une représentation d’opéra, joue sur des contrastes forts. Les pièces tailleur en laine militaire arborent des coupes strictes, ponctuées de détails inattendus : dentelles vaporeuses, appliqués de perles, pans de cuir, incrustations de tulle. Les silhouettes se font tour à tour majestueuses et charnelles : d’un côté, des robes amples, pensées comme de véritables costumes de scène, où les volumes se superposent ; de l’autre, des coupes ajustées, près du corps, dégageant un sentiment d’audace et de modernité. On perçoit dans ces contrastes l’hommage à une époque où la passion, démesurée, trouvait écho dans l’exubérance des décors et la noblesse des étoffes.

Une série de pièces rend également hommage à la mer d’Alghero et à ses horizons oniriques. Des bleus profonds voisinent avec des imprimés marins, des silhouettes fluides évoquant les vagues. Certaines matières, comme le satin et le voile, rappellent le reflet de l’eau sous la lumière, et soulignent la filiation naturelle qui unit la ville à son littoral. Les inspirations catalanes, elles, se manifestent dans la vivacité de quelques teintes vives, ponctuées de notes rouges ou dorées, évoquant la fougue d’une Carmen revisitée.

Comme dans un opéra où chaque détail sert la dramaturgie, Antonio Marras soigne les finitions. Des rubans cousus à la main, des broderies géométriques, des patchworks de tissus chinés et réassemblés : chaque geste rappelle la dimension artisanale et la quête d’authenticité au cœur de la maison. Les silhouettes masculines, tantôt minimalistes, tantôt théâtrales, mêlent kilts à carreaux et manteaux structurés, arborant un col rehaussé de broderies. Les accessoires, enfin, prolongent la narration : bottines ajourées, ceintures ornées de motifs végétaux et sacs brodés renouvellent le vocabulaire stylistique de la marque.

Dans cette célébration de « La Bella d’Alghero », Antonio Marras transcende la mémoire d’une œuvre passée pour l’inscrire dans un présent vibrant. Le défilé se lit comme un opéra contemporain où chaque vêtement raconte une partie de l’intrigue, faisant surgir tour à tour romantisme, drame et exaltation. Un équilibre subtil entre l’esprit festif catalan et la profondeur lyrique italienne, illustrant parfaitement la passion propre à la maison Marras.

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