En septembre dernier, le philosophe et urbaniste Paul Virilio nous quitte, laissant derrière lui une pensée féconde sur la condition moderne et la souveraineté des systèmes de surveillance. Parmi tous les fils exploités par sa pensée, se trouve le projet d’une fonction oblique de l’architecture. Quelque chose de très théorique en somme, mais qui c’est bel est bien matérialisé- et qui plus est dans une région oubliée des discours, le Centre et Val de Loire. Si la Fashion Week ne dépasse pas les murs du périph, elle permet à son échelle de repenser l’espace. Plus que jamais la scénographie joue un rôle déterminant dans la conception des défilés. Pourquoi tant de travail et d’argent pour créer un espace qui ne sera visible qu’ environ 15min par une poignée de journalistes et d’acteurs privilégiés? C’est sans doute l’un des aspects du luxe : un décor qui demande du temps, et qui est éphémère. La contradiction des temporalités provoque le désir, le désir d’immortaliser- soit de rendre atemporelle. Dès lors les photos se multiplient : chacun espérant attester de sa présence. J’y étais. Toi non. Paul Virilio noterait: nous ne vivons pas dans le présent, nous vivons l’instant.
La motivation du champ de la mode pour créer des décors, se réduit-elle à un simple snobisme? Pendant les défilés, les grandes maisons, comme les nouveaux labels, proposent de véritables réflexions sur le temps et les cycles qui orchestrent le système de la mode à l’heure actuelle ( que ce soit au niveau de la production, ou de la consommation). Virilio dans cette ‘histoire ? Son projet d’architecture de l’oblique avait pour but de provoquer l’arrêt des passants. Un moment ou le temps se suspend, et ou l’on regarde les choses plutôt que de les apercevoir.
Les défilés nous invitent par leur nature éphémère, à les capturer aux travers de nos écrans ( et donc à rester en ligne), alors comment leurs architectures peut-elle déconnecter ? Comment les défilé peuvent-ils refaçonner nos corps crispés, pour qu’ils s’apaisent- et ce au-delà des plages Chanel du Grand Palais ?
Les vagues sont-elles parvenues à noyer les téléphones ?Y avait-t-il assez de réseaux dans le Musée du Louvre ?
Quelqu’un a t-il enregistré la story du premier défilé de Ximon Lee?
ANAIS JOURDEN : Le Temps tabou des désirs
Club de streap-tease au bord d’une auto-route, lumière tamisée, velours : un lieu parallèle où, comme dans les films de Lynch, les gros plans se multiplient sur les personnages et exposent leurs tourments. Au cinéma ces scènes sont utilisées pour marquer un arrêt et reconnecter le spectateur avec le personnage. Alors Anais Mak embarque son public au Whisper, un club de Streap-Tease près des obliques de l’Arc de triomphe. La collection joue avec les attentes : une manière d’obliger le public à se maintenir attentif. Du rose, du tulle, des robes gauffrées. Candy et ses sucettes s’enveloppe dans du coton léger en ce petit matin. Aucunes références à la culture de la nuit dans les vêtements. Le décalage entre le décors et les propositions vestimentaires, oblige, comme dans les gros plans au cinéma, à regarder les choses autrement- à rompre avec le déroulement du film.
BEAUTIFUL PEOPLE -Vêtement en cours de construction
Une deuxième défilé à Paris pour le créateur japonais Hidenori Kumakiri. Une collection qui pose ouvertement la question : quel est le bon tempo? À quelle vitesse tourne l’industrie de la mode ? Cela se traduit dans la bande-son, mais également dans une mise en scène chorégraphiée, dont le point culminant est la déconstruction/reconstruction des vêtements devant les yeux-ou plutôt les écrans, du public. BEAUTIFUL PEOPLE, au-delà d’une garde-robe, propose une technique pour la porter, enseignée tout au long du défilé. Baptisée « SIDE C », il s’agit d’utiliser l’intérieur, l’extérieur et la doublure du vêtement de toutes les manières possibles. Chez BEAUTIFUL PEOPLE, l’architecture du vêtement s’accorde au son et à l’espace. La morale ? ‘il ne faut pas aller plus vite que la musique. Si les vêtements peuvent paraître trop simples, de par leurs couleurs basiques, ils se révèlent pleins de surprises. Dompter le regard, aller au-delà de la première perception des choses. Chez Virilio les portes se transforment en fenêtre. Dans ce défilé les fenêtres sont ouvertes.
LOUIS VUITTON -Rétro Balenciaga ?
Avant d’arriver à la tête de Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière a passé 15 ans chez Balenciaga, et a durablement imprégner la mode des années 2000. Il impose ses lignes et une vision « du futur » qui se répète sans cesse- annulant la notion de nouveauté. Finalement le futur est une réminiscence du passé : c’est un revival constant. Dans la Cour Carrée du Louvre, la collection résonne à la fois avec l’imaginaire ancien du futur et un symbole de l’architecture classique liée à un éclectisme intemporel. Pour transcender ces questions de temporalités, Ghesquière opère un remarquable travail sur l’architecture du vêtement qui oblige à s’arrêter. Que ce soit les imprimés capturés à l’aide de drôles, ou le mouvement des manches des blouses. Le tout dans un décor qui manie la géométrie et n’est pas sans appeler à une lecture symbolique. Carré, triangle, parallélogramme : des angles obtus qui ferment les perspectives. Un jeu entre le passé et le futur, le fini et l’infini, dans un lieu qui représente un ordre archaïque. En réalité ce que cette collection traduit, c’est la volonté des maisons dominantes à maintenir l’ordre de la mode.
Le temps des défilés VS le temps de la nature : deux champs ou les vitesses ne sont pas les mêmes. Si les scénographies des défilés semblent rendre compte de ce problème, d’autres décalages ont lieu : comme l’écart entre la vitesse de diffusion des tendances sur le Net et leurs diffusions réelles auprès du grand public. D’ailleurs prendre du temps pour la mode fait-il encore partie de l’agenda du Val De Loire ? L’architecture des Zones Commerciales est faite pour rendre l’achat tout aussi morose que les étendards. Si les vitesses de productions de diffusions de la mode sont amplifiées dans certaines zones, elles ont provoquées des trous noirs dans d’autres.
Jean, Soleil, Vie Aquatique, imprimés cachemires, épaulettes années 80, tulle, cuir et couleurs sorbets: les tendances sont déjà résumées en mots clés markétés. Des mots courts, balayés, rapidement par le regard. Au cycle prochain…