Multiplication de couvertures au lettrage vert pimpant, multiplication de collaborations éco-responsables : la mode tire le signal d’alarme ?
L’industrie de la mode avait-elle le choix ? C’était cela ou la mise à pied. L’industrie textile émet plus de gaz à effet de serre que les vols internationaux et le trafic maritime réunis. En 2013 l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh vient éclairer sur les conditions de travail. Sur le banc des accusés : la fast-fashion– ou le symbole d’une société encouragée à la sur-consommation. Alors le luxe et le « Made In France » viennent servir de tampon « bonne qualité-bonne conscience ». Le problème écologique sort de la sphère politique et devient un choix stylistique : une distinction culturelle ? Là c’est un autre problème qui entre dans l’arène. Le discours écologique devient un chant moralisateur culpabilisant, qui exprime l’inégalité de la population dans l’accès économique et culturel à une mode écologique, respectant l’humain.
En 2018 la réponse écologique prend de nouvelles formes et s’immisce à tous les niveaux du champ de la mode. Que ce soit les marques classiques, les contre-labels ou les médias. Par les voix artistiques, vestimentaires, et médiatiques l’écologie se démocratise t-elle ou est-ce une simple formule marketing qui répond au besoin éphémère d’une angoisse écologique « durable »?
La fétichisation de l’écologie
Terme galvaudé, l’écologie recouvre aussi bien des manières de produire, que de distribuer. Elle concerne également le choix des matières employées pour concevoir les vêtements. Ainsi il existe tant de manières d’être écolo, que la question peut finir par ressembler à un cafouillage sémantique chaotique. Pour sortir les consommateurs du flou, l’un des biais stylistiques est de créer des vêtements qui par leurs couleurs, leurs lignes et leurs matières convoquent l’imaginaire d’une nature abondante.
Abandon ? Depuis une dizaine d’années plusieurs lignes « green », baskets blanches et sacs en toile ont été érigées en hit symbolisant une vie en symbiose avec le slogan « healthy-bio-vegan ». Des fringues dont la contre-définition serait la robe Viande de Lady Gaga. Une mode qui fait de l’écologie un fétiche – un produit en soi. Si on se noie dans la théorie Marxiste, on pourrait émettre l’hypothèse d’une tendance qui promeut l’idée de toute-puissance du produit de consommation. L’écologie devient un art distinctif de la consommation, ou les produits sont sacralisés au point ou l’on oublie l’organisation sociale nécessaire à leur production et leur distribution. Les collections « Green » d’H&M reflètent cette idée du serpent qui se mord la queue puisque sous le masque des collections blanches et vertes ( histoire de bien signaler que le thème au menu du jour est l’écologie), le groupe tend à effacer les forces socio-économiques pas très « propre » qui sous-tendent son fonctionnement.
Avec Ma tête de développement durable
Ce scénario catastrophico-marxiste est à nuancer. Il faut distinguer les tendances écologiques qui s’inscrivent dans le cycle du renouvellement permanent de la mode, à un projet écologique qui ne se traduit pas en un style reconnaissable. Stella McCartney développe depuis 2007 des collections qui répondent à un souci éthique. « Je n’ai pas besoin de parler d’une jolie couleur ou d’un look sur le podium. Nous avons quelque chose d’autre à proposer et aujourd’hui c’est dans notre ADN, en tant que maison de couture et en tant qu’entreprise. » Tout en renouvelant chaque saison ses collections, Stella Mc Cartney fonde un style écologique non-ostentatoire qui à un prix. « Cela peut revenir 70 % plus cher. On absorbe ces coûts dans notre marge. On n’augmente pas le prix de nos produits »- (Stella Mc Cartney-Buisness of Fashion 2007) . Si la créatrice anglaise a pu trouver un modèle économique qui lui permette de ne pas augmenter ses prix, est-ce le privilège de toutes les marques ? Un créateur débutant peut-il produire de la même manière ?
L’autre question -évidente : Stella Mc Cartney reste une marque de prêt à porter- une marque qui demande des revenus et un « lifestyle » qui n’est pas celui de tous. Comment s’habiller écolo chez les prolos ?
Quand L’écologie ouvre ses portes et bat des ailes
Alors l’écologie se réfléchit et se démocratise. Depuis 2017, L’institut Français de la Mode ( IFM) réunit divers experts pour dresser des états des lieux autour des enjeux et spécificités du développement durable. Une trentaines d’acteurs, dont Laura Brown- fondatrice d’Ethipop; explorent la places des marques dissidentes éthiques. Soit des marques qui ne se rangent pas dans la catégorie « luxe », donc plus accessible ?
Le succès de Veja devient emblématique d’un style qui embrasse les enjeux du développement durable. Un véritable pari qui commence en 2003 et se fera sans budget pub pour consacrer les dépenses au commerce éthique, au bio, au maintien de conditions sociales favorables pour les travailleurs. Un projet qui se construit sur le long terme, et exige une patience qui semble défier le système économique actuel. Après l’économie du « renouvellement », des labels comme Veja ouvre l’économie du recyclage ou l’idée de vitesse n’est plus. Une voix qui porte ses fruits et touche la mode à différents niveaux. Aujourd’hui c’est la démocratisation de cette mode qu’il faut propager. Si le tandem de Veja a su déconstruire les rapports de forces de l’industrie de la mode au niveau de la production, ce sont aujourd’hui les rapports de force qui régule l’ogre de la consommation qu’il faut démonter. Les baskets blanches habillent les pieds des grandes villes, moins de « pattes » de la campagne française. Un peu réducteur ? Le prix et la culture qui entoure certains projets sont encore des freins.
En investissant le temps long, la mode transcende l’idée d’un complot bio/marketing même si l’ensemble des acteurs ne sont pas menés par des convictions profondes. Pas à pas la question écologique évolue, mais reste le symbole d’une société fragmentée. Le bio, l’écolo, le recyclage, et les questions éthiques ne peuvent être des préoccupations premières quand les poches vides n’ont pas été rapiécées par un jolie label qui à pignon sur Rue « St Honoré ». L‘avenir ? Quitte ou double. Soit l’up-cycling sera un privilège des élites qui ont les ressources culturelles et économiques ou alors il permettra de recréer un dialogue social.