Gala du MET, festival de Cannes et autres avant-premières pour lancement de voitures ou gauffres sans-gluten : le rituel du tapis rouge a t-il perdu tout sens ?
Les noms des marques se multiplient sur les murs des photocalls, alors que la faculté a nommer les célébrités s’évapore. « Une mannequin », « une actrice » portent des boucles d’oreilles Bulgari assorties d’une pochette Prada. Les escarpins Louboutin ont frappé à terre le lyrisme du tapis rouge, ou est-ce les journalistes/pigistes qui ont perdu toutes facultés à faire rêver ?
Les adjectifs ont disparu. Les phrases sont courtes, directes. En bref, un alignement de marques de luxe accompagnent les flots d’images ou des corps que l’on a privé d’histoire, sont les étendards d’une lutte des maisons pour avoir pignon sur rue. Les titres des articles ressemblent à de vielles formules publicitaires dont les néons clignotent avant de s’éteindre dans un sifflement grinçant. « Mort de la plume » ? Les rituels médiatiques et leurs rubriques Red Carpet : une narration à re-inventer où doit-on se contenter des diaporamas abêtissants d’images ?
Lyrisme amoureux du tapis rouge
De l’exhibition à la prohibition : en exhibant les corps, l’acteur à disparu. Aujourd’hui ce stade est dépassé : en saturant l’espace de symboles de luxes, symboles d’une violence économique, le corps même est vidé de son aura. Les noms des stars sont noyés sous les logos des marques. Dans son essai, Les Stars (1957), Edgar Morin évoque un échange entre l’aura de la célébrité et les produits auxquels elle prête son image. Un sorte de troc haut-de-gamme. Kristen Stewart apporte son flegme à Chanel qui lui rend en la dotant de la féminité année 30 révolutionnaire de Coco.
» La star est une marchandise totale( …) mais elle ne s’use, ni se dépérit à la consommation. La star demeure originale, rare unique, lors même qu’elle est partagée ». Morin
La valeur des personnes a été oubliée. Les articles ne prennent plus la peine d’une narration chronologique pour nourrir la personne d’une histoire, qui fond d’elle une célébrité. La presse réduit les gens des tapis rouge à de simples « peoples ». Un anglicisme qui révèle tout le mépris envers la culture de la célébrité qui conduit à une narration aussi épaisse que Kate Moss dans les années 90.
Les hiérarchisations des célébrités font que tout le monde ne reçoit pas le même sort. Ce sont les derniers arrivés- les influenceurs, candidats de télé-réalité, et « Kim Kardashian » dont on ne comprend pas vraiment le talent, qui sont dépossédés de toutes qualités. Réduit à des images avec des scores Instagram : des sortes de cartes Pokémon. Les légendes de leurs images nous indiquent Chopard, L’oréal. Quels films ont-ils réalisés ?
Faut-il faire Bande à Part ? – se distinguer de cette mode /sponsor ?
Si les personnes qui portent les vêtements ne méritent pas d’être narrées, les sponsors le mérite- t-il ? Un poème sur les vapeurs de la laque Elnette. L’industrie de la mode, et de la beauté vont de pair avec le cinéma. Sans elles, les stars n’existent pas. Pro-maquillage, Jean Marais disait « La star n’as pas le droit d’avoir mauvaise mine ». Alors le fétiche de la coiffure, la description amoureuse du vêtement pourrait redonner aux articles Red carpet un peu d’élégance. Quitte à citer des marques autant en faire de belles chansons à la manière d’un Souchon.
De l’envie au dégout.
Invitation au mimétisme, à vivre par procuration. En dotant les vêtements du tapis rouge de lyrisme, finalement c’est la réitération d’un système de domination qui est promu ? -une question ouverte
Un « putain ça penche on voit le vide à travers les planches » ? -(Souchon)
En s’offrant ces vêtements, les acheteurs issus d’une mince élite internationale, n’achètent pas simplement des robes. Ils achètent le prix de la robe. Plus encore, c’est l’achat de l’espoir d’être admirés en portant cette robe. Des hommes ? Peut-être, mais ce n’est pas d’une simple parade amoureuse ou sexuelle dont il est question ici, mais d’une perversion de classe. Acheter des robes vues sur les tapis rouges comme brader les rêves des petites travailleuses qui feuillettent les magazines. Une image un peu années cinquante mais parlante – » Ce n’est ni le talent, ni même la publicité, c’est le besoin qu’on a d’elle qui crée la star. C’est la misère du besoin, la vie morne est anonyme qui voudrait s’élargir aux dimensions de la vie de cinéma » Morin, 1957. En portant les mêmes vêtements que les actrices un soir d’oscar, les élites éprouvent ce même besoin de sortir de l’anonymat. Mais qui à besoin d’eux ? Des femmes qui lisent Gala – ( c’est peut être ce qu’on imagine).
Alors faire du tapis rouge un rêve, c’est finalement alimenter les désirs consuméristes de femmes qui peuvent, par leur capital économique, se projeter dans ces vêtements. Les plages de chair nue ne sont pas des appâts pour hommes mais se destinent à toi, à nous qui admirons. Le problème : l’admiration introduit d’emblée une violence puisqu’elle repose sur un système de domination. Le tapis rouge réduit à une image devient une sorte d’agression: le symbole de la vie qu’on aura jamais.
Le droit d’être admiré , le droit de rêver / Incompatible avec la logique médiatique
Lyrisme des GAFA du luxe, lyrisme du vêtement : participer à une grosse arnaque ? Nourrir le rêve et marquer les écarts sociaux. Apporter du lyrisme à ceux qui consomment et veulent être consommés à leur tour ? Les journalistes se posent-ils toutes ces questions, ou les articles red carpet sont-ils juste de bons moyens d’alimenter le flux d’information d’une manière rapide.
Chacun souhaite rêver et être admiré. L’influenceur, la célébrité, la starlette, le journaliste : la liturgie stellaire s’est complexifiée. Les journalistes n’ont pas encore construit d’histoires aux influenceurs : » ils nous ont volé notre place » . Mi-médias, mi-stars, il semblerait que l’image de ces derniers renvoie aux journalistes leur propre peur d’être évincé.
Le rituel médiatique du tapis rouge relève d’une longue histoire : elle va de pair avec le cinéma et les stars. La métamorphose de la célébrité, l’emprise du système économique doivent-ils pour autant priver les lecteurs d’informations, et d’émotions. Quand l’actrice libanaise Manal Issa dénonce les attaques de Gaza, quand des actrices noires s’unissent pour la diversité on comprend que la mode et le tapis rouge sont à la fois politique et frivole. Alors rassemblons ces ingrédients !