À l’ombre des grands défilés, éclairés pour pavaner, la fashion week parisienne recèle de salons, où des designers encore à l’abri des tempêtes médiatiques, partagent leurs collections. La fédération française de la Haute Couture et de la Mode, chapote le designers appartement qui présente chaque saison « une dizaine de jeunes talents ». Si ce n’est pas le salon le plus subversif- les journalistes presse y préparent leurs énièmes titres » les nouveaux talents de la scène mode parisienne », il n’en est pas pour autant dénué d’intérêt.
Un salon pour discuter, découvrir,
Cet article découle d’une conversation avec le brillant duo de Proêmes de Paris,
Marion et Ulysse se font remarquer avec des campagnes qui invitent les femmes à lire, prônent la culture pour tous, et surtout entendent la culture de tous. Leurs vêtements en sont le reflet .
Leur dernière collection met en avant le processus de démocratisation des savoirs, entreprit par Diderot et D’Alembert au XVIIIième.
Il n’y a pas de savoirs inutiles , cet article est dédié à ce duo.
Tête couverte par des fichus, des cagoules. Les mots se confondent pour décrire cette tendance vue pendant la Fashion week. Ce qui est redouté: une bourde avec une mauvaise référence religieuse, politiquement incorrecte. Gucci en paye les frais: le vaisseau maire de Kering présente sur le podium des mannequins coiffées de turbans. Aussitôt Alessandro Michele est accusé d’appropriation culturelle.
Appropriation culturelle : une expression qui fleurit dans les médias français depuis quelques années. Le problème de cette expression : que signifie t-elle dans notre société ?
En 2018 , ce qui est problématique dans « appropriation culturelle » est de transformer ce mot en terme galvanisé, glamour qui apporte un cachet « intello » à son utilisateur. L’appropriation culturelle : un terme réservé à une élite blanche?
Qui utilise appropriation culturelle ? et pour désigner quoi? Personne ne parle d’appropriation culturelle quand René Zellweger enfile une culotte qui appartient aux grands-mères. L’utilisation de ce terme renferme les hiérarchies culturelles qui régulent nos sociétés. Personne ne défend les traces des classes blanches supérieures qui se payent des culottes hautes Damart, elles sont protégées?
Sauvons la garde-robe de la bourgeoise bourdieusienne
Si actuellement, les journalistes et universitaires emploient le mot « appropriation culturelle » comme un hit, il est utilisé depuis les années soixante-dix aux État-unis. Ce concept né dans le cadre des luttes raciales et de l’intégration progressive des classes subalternes blacks dans le système capitaliste mainstream. La sociologue Afro-américaine bell hooks dénonce une » culture marchande, ou l’ethnicité constitue l’épice, l’assaisonnement qui relève le repas fade que nous sert la culture blanche mainstream » . En France notre bell Hooks prend des airs d’universitaires bien intégrés au système: Pierre Bourdieu domine la sociologie et lègue un héritage qui fait principalement réfléchir en terme de classes sociales, plutôt qu’en terme de race. L’appropriation culturelle équivaut à « ’une appropriation matérielle, qui suppose le capital économique, et d’une appropriation symbolique, qui suppose le capital culture « . En d’autres mots : acquérir un ensemble Louis Vuitton ( sans logo, pas de vulgarité SVP, c’est pour les parvenus), demande de l’argent, qui suppose la capacité à exercer une haute fonction- chose permise par le financement d’études supérieures financées par des parents eux-même habillés en Hermès et Chanel.
Pendant longtemps, l’appropriation culturelle renvoie à une grille de lecture centrée de manière quasi-exclusive sur la classe sociale. Une pensée qui trouve son prolongement dans une mode française qui recule face à l’arrivée du prêt-à-porter. Il faut attendre Yves Saint Laurent et son réseau de boutiques franchisées , Yves Saint Laurent Rive Gauche en 1966 pour que le prêt-à-porter débute. La transition reste difficile. De manière générale :chaques nouveaux processus d’élargissement de la mode aux classes populaires se retrouve pointé du doigt ( la fast-fashion : ce n’est pas bien) .
Le retour des jupes crayons, des ensembles tailloring, du tweed, pied de poule et imprimés tartan sont comme un coup de rappel : la mode présentée à Paris reste un luxe. Comme une volonté de distinction face à la vague sportwear, « street wear » et autre terme frip chic , qui se sont infiltrés jusqu’au coeur des grandes maisons du luxe. Cette saison la femme Vuitton range ses baskets aux vestiaires et réadopte ses escarpins noirs. D’ailleurs cela fait 3 saisons qu’ils font claquer les marches du Louvre, symbole d’une culture française.
Artistes racistes ou anarchistes en costume bien taillé ?
Aujourd’hui la mode ne peut se penser à l’échelle nationale: c’est un phénomène qui demande de penser « globalisation ». Le terme appropriation culturelle, doit lui aussi être redéfinit dans le contexte d’une société globalisée. Désormais la France ouvre les yeux sur les inégalités subites par d’autres types de groupes subalternes. L »article des Inrockuptibles « Les pop stars blanches ont-elles le droit de twerker ? », de septembre 2014, signé Carole Boinet, ouvre une nouvelle brèche dans la question de l’appropriation culturelle: la race. Placées sur le banc des accusés : les stars blanches de la pop culture, puis rapidement le monde de la mode. Les dreadlocks des mannequins de Marc Jacobs ne passent pas. Une coiffure ramenée à son origine africaine, mais qui à depuis bien longtemps voyagé. Dans le défilé, ces dreads viennent parachever un look inspiré de la culture kawai- une culture dite asiatique qui se serait réappropriée des codes Africains … La culture Kawai a t-elle était accusée d’appropriation culturelle ?
Les cultures voyagent, fusionnent…Chaque société reconfigure les objets, les styles à sa manière. Les significations et valeurs qu’on accorde aux vêtements sont les fruits d’évolutions, de changement sociaux. Jacobs réitère en 2018 : un mauvais exercice de style ou un moyen de nous dire que penser en terme d’appropriation culturelle est une façon d’entretenir un système linguistique barbare et d’entretenir un racisme structurel. Parler des africains comme des victimes, cela revient à les positionner en éternel « colonisé »: un privilège blanc. Parler de pratiques africaines en les intégrants à d’autres cultures: faire d’une culture minorisée, une culture qui au même titre que les autres a le droit de voyager.
La presse n’emploi pas le terme d’appropriation culturelle pour parler de l’utilisation de la sainte cantade en ouverture du défilé Gucci. L’utilisation du turban : Gucci est raciste et dépolitise les signes d’une lutte pour en faire un accessoire glamour- ce n’est pas faux. Toutes ces luttes espithémologiques montrent une chose : certaines pratiques sont jugées comme normales, comme répondant « au bon récit ». Alessandro Michele sera remercié pour ses références à l’art baroque et la culture catholique. Pour le reste c’est plus délicat …Une peur des turbans, une peur de l’envahissement, une peur de ne plus être les seuls à pouvoir écrire le grand récit colonisateur.
Appropriation culturelle ou voyage culturel ?
Appropriation culturelle : l’important n’est pas de savoir qui vole quoi à qui mais qu’est-on autorisé à voler ? La culture catholique ou classique : prenez là, elle vous guérira. Peuple black, roux, handicapé, trans : nous consignerons votre culture sous la méprise du sceau de l’appropriation culturelle : nous vous protégerons.
Petit jeu autour des voyages culturels :
Kleptomanie culturelle : qui vole quoi à qui ? Le plus important est de reconnaître que certain ont le privilège de voler, tandis que d’autres resteront les victimes . Apparemment le look bourgeois est de retour– le look qui permet de voyager pour mieux voler?
L’appropriation culturelle, est un concept important. Un concept politique qui permet de dénoncer des privilèges et la persistance d’inégalités : le tout est de recontextualiser son utilisation, et de ne pas en abuser dans un contexte médiatique qui en fait une punchline. À partir de quand doit-on parler d’appropriation culturelle ?