Paris: l’idéal du spleen baudelairien. Contrairement au dégoût éprouvé par le poète, le public de la mode aspire à une palette d’émotions bien plus vaste : la peur, l’amour, la tristesse, la joie mais aussi l’indifférence.
En 2017, l’industrie cinématographique bas des records: un hausse de la fréquentation inespérée. S’il faut classer les défilés de mode en catégorie de films, alors Balenciaga était comique, Givenchy noir,et Valentino romantique. Dans certain cas le film était inclassable. Chez Thom Browne le temps se suspend : on regarde ses mains pour vérifier –oui je suis encore là. On prend part au film- l’écran est traversé.Bouleversant de justesse: le défilé de Thom Browne nous fait passer de l’autre côte du miroir, et comme Alice, nous fait perdre tout sens de la rationalité. L’émotion prend le dessus. S’abandonner aux ‘émotions : un privilège qui se limite aux happy few qui assistent aux défilés?
La question oubliée -En 2018 pleurer devant une collection de vêtement : réservé à une élite sociale ?
Certes, tout le monde n’a pas accès aux défilés. Il faut avoir le badge Press ou Buyers: en somme appartenir à un groupe professionnel ou avoir un porte-feuille bien garni. En ces temps des réseaux sociaux, les images des défilés circulent à travers le monde entier. De quoi espérer une mode démocratisée. Dans les faits tout est beaucoup moins doré. Les gens ne se sentent plus en lien avec la mode. Pourquoi ? Elle est essentialisée à un luxe dont l’inaccessibilité ne fait plus fantasmer- elle rebute. Fin du rêve. Beaucoup ne se sentent plus concernés, et ne trouve pas un remède créative dans le vêtement, comme avait pu le faire en leur temps les Mod’s ,Teddy Boys et autres Punks issus des classes ouvrières anglaises. Pourtant s’habiller, regarder les vêtements peut encore faire naître des émotions, des émotions qui se transmettent sans jeux de dominations.
John Galliano : Retenir ce qui s’échappe
Dès la réception du carton d’invitation, c’est la nostalgie qui envahit: une gazette de journal, John Galliano aurait pu l’envoyer lui-même. Pourtant il ‘n’est plus là : c’est Bill Gayten qui est aux commandes. Après la nostalgie, vient l’effroi : Galliano a perdu son nom. Alors Gayten le réimprime partout pour cette collection. En plus de l’hommage qui passe par la gazette, les robes qui se jouent des transparences, les grands chapeaux et sacs de voyages sont comme les reliques de Galliano. Led Zeppelin occupe la bande-son « I won’t give you my love ». Gayten parle d’une génération qui n’a plus envie de plaire, d’une génération qui a peur en utilisant une bande-son rock qui anime toute la salle. « Un-fancy » : un mot qui apparait dans le communiqué pour décrire un état d’esprit que Bill Gayten combat par une collection féerique. Un défilé comme une fable sur le temps, une fable qui utilise le sentiment nostalgique pour faire réagir le présent. L’espoir n’est pas mort-il ‘y’a qu’à regarder le travail de Galliano chez Margiela.
Balenciaga : Give me Five et une bonne tape dans le dos
Le monde crée par Demna Gvesalia ne serait pas si comique si la mise en scène n’était pas si stricte et sérieuse. Autour de la marque: des scandales, des caprices. Soit la démonstration de l’aura de Gvesalia. Adulé : il aurait tout inventé, et arrive à vendre de Sketchers, des Sacs avec des imprimés du calendrier de la poste à un classe sociale qui trouve cela très drôle , » comme venant d’un autre monde ». Exotique le jeu des hiérarchies des classes? L’ironie: la source d’inspiration de la marque est belle est bien vivante. Sortez de Paris, prenez le train à Bercy : tout y est. Rire jaune ?
Ce n’est sans doute pas cette classe française » dite oubliée » et qui se replie dans des discours politiques radicaux qui a pu rire et partager des photos-montage de la collection sur Instagram . Dommage.
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Thom Browne : la nostalgie du temps présent.
« Et si tu crois un jour que tu m’aimes,
Ne crois pas que tes souvenirs me gênent,
Et cours, cours jusqu’à perdre haleine »- Françoise Hardy, Message Personnel, 1973
S’impliquer, mettre ses tripes dans son travail. En 1973, Françoise Hardy contacte Michel Berger : il accepte de lui composer trois titres mais à une seule condition : il faudra qu’elle s’implique plus. Si on en revient à la mode : parler de la fashion week, invite par moment à se livrer soi-même. À lancer des messages personnels. Voilà pourquoi j’en viens au « je ».
En assistant au défilé Thom Browne, je me suis rendue compte de ma place privilégiée. Un défilé ou la justesse des robes, la précision des bustiers, le travail de la fourrure aurait pu me faire éprouver un « ce n’est pas pour moi ». Et peu importe. Chacun peut être ému, et Thom Browne a pensé à tout pour que chacun pleure ou souris. Voilà ce que c’est un grand artiste. Les larmes aux yeux, j’ai regardé les modèles qui passaient d’un pas léger dans chaque rang. Avec une même grâce elles passaient entre les acheteurs et les membres de la presse des différents pays. La musique emportait la mémoire dans le vogging de Madonna. Les chevalets dans une école d’art et le majestueux finale dans le Cinquième élément. L’histoire de la mode était en train de se faire , la devant mes yeux.
Passer du rire aux larmes : les défilés le permettent. Mais pour cela ils doivent parvenir à rassembler des éléments qui mettent fin au pessimisme. Le créateur doit devenir un chef d’orchestre qui accorde mise en scène, histoire, musique et savoir-faire. Une mode qui s’accorde à nos désirs : une mode sans signification de classe, appellant à tous sens possibles. Dans les mises en scène les plus manifestes, se cachent parfois les sens le plus irévellés. Friends, Le cinquième élément , Led Zeppelin, et Baha Men: un joyeux chaos comme lorsque l’on prend le thé avec le chapelier fou.
Une mode qui permet une imagination à 360° qui permet d’oublier d’où on vient et de sentir qu’on peut s’envoler ailleurs. La solution ? La mode/imagination.