À la veille de notre rencontre, Rahul Mishra était à Londres, interviewé par Suzy Menkes-soit l’icône de la critique mode. Depuis longtemps elle défend le créateur indien, valorisant la précision de ses collections qui mériteraient bien l’appellation de Haute Couture. Passer après Suzy : tout un défit. Comme elle, la description de la sophistication des vêtements pourrait occuper des lignes entières de cet article. Plutôt qu’un fétichisme vestimentaire c’est le combat du créateurs, de l’homme, son projet de mode sociale qui a éveillé toute ma fascination. Même si la délicatesse de ses broderies ne peut laisser indifférent.
« Oui c’est délicat, mais les vêtements se lavent. Vous pouvez les porter, et reporter. Sinon à quoi bon parler de mode durable? La mode est un art, un art que je veux rendre durable »-Rahul Mishra
Décors d’entrée dans l’écologie sociale
Paris fin Novembre 2018- Les feuilles dorées de l’automne recouvrent les trottoirs, mais déjà les arbres sont rhabillés par les guirlandes lumineuses de Noël. Sans laisser le temps aux saisons de s’épanouir, l’homme leur impose des lumières artificielles, pour pouvoir mieux vivre sa traversée de l’hiver. Mais c’est aussi cela la vie…Créer de la magie
La philosophie de Rahul Mishra : respecter les lumières des saisons, les observer et s’en nourrir pour créer des collections, à la manière des peintres impressionnistes qu’il admire tant. Plus que des inspirations esthétiques, le respect des cycles de la nature est intégré au coeur du processus d’élaboration des vêtements. Au delà du combat pour préserver l’environnement, Rahul Mishra réfléchit :comment aider l’homme afin qu’il trouve une place épanouissante, en accord avec son environnement.Voilà La différence. Rencontre avec un couturier humaniste, qui suit les saisons et exerce sa magie au gré des calendriers de la mode sans perdre le fils de ses luttes.
La mode c’est bien plus que la vanité : c’est cette mode qui m’attire, qui m’anime et me fait travailler toujours plus. Il y a l’art, l’expression, l’aspect poétique, mais surtout l’engagement. Rahul Mishra
Rahul Mishra éco-system
La mode écologique : un terme valise? Collection vegan, récupération des chutes de tissus, concentration des usines en France pour favoriser les circuits courts : à traduire par mode éthique, collectif, Stella McCartney, The « new wardrobe » , « Ethipop talks »,friperies, 100% No waste ou « Smart Création ». Perdu au milieu des concepts? À quelles étapes de la chaîne de fabrication, de distribution la mode écolo vient-elle se référer ? Faut-il allé jusqu’à scanner les processus d’imaginations des créateurs pour savoir s’ ils ne sont pas pollués ?
Plus qu’un simple programme écologique, la mode de Mishra est un programme social
Mode sociale, le terme apparaît dans une interview donnée en 2014 par Rahul Mishra à Business of Fashion. En 2018, comment ce plan se traduit-il concrètement ?
Rahul Mishra nous explique être heureux de bénéficier du statut de créateur et de présenter ses collections dans les plus grandes capitales : »Cela crée des opportunités. Par cela je peux m’attaquer au problème du chômage : un challenge en Inde. Nous avons un réel besoin de créer du travail pour les gens. Et du travail adapté aux gens. »
Le projet d’une mode sociale, c’est mettre à profit les savoir-faires locaux pour créer des vêtements d’exceptions. Des vêtements qui rayonnent de vie. Mishra espère redonner confiance aux Indiens, et leur montrer qu’ils ont une place dans cette grande histoire qu’est la mode.
« Beaucoup de gens possèdent des savoirs-faire et techniques de broderies uniques.En tant que designer je suis entre deux mondes extrêmes. Le monde très luxueux de la Haute couture, et cette réalité locale d’une Inde très pauvre. Comment produire des opportunités pour lier ces deux mondes, tout en respectant la vie de ces gens ? »
Aujourd’hui Raoul Mishra emploie plus de 700 personnes en Inde. Sécurité de l’emploi, amélioration du système médical: des conditions essentielles pour une vie digne. Par ce geste, Mishra protège le réservoir des connaissances locales. 2000 heures de travail : c’est le temps de confection que requiert certaines pièces de la dernière collection. « Cela aurait été plus facile et moins chère de faire certaines pièces à la machine, ou à l’étranger. Mais le rendu n’aurait pas été le même. De plus c’est 20 familles nourries et hébergées que ces vêtements représentent »
La mode écologique, en réalité c’est cela : combattre l’extinction des traditions et permettre aux gens de vivre.
Mon fil directeur quand je conçois une collection : est-ce que ces vêtements, que j’imagine, vont permettre aux gens de travailler ? -Rahul Mishra
La mode de Rahul Mishra : un conte qui s’écoute en famille .
En procurant des heures de travail aux Indiens, il procure des heures de vie commune, et de partages pour les familles. » En procurant des revenus aux familles, j’évite aux parents de devoir aller travailler en ville, et de vivre dans des conditions déplorables ( …) Vous avez vu Slumdog millionaire, et les taudis ou s’empilent les gens ? Je veux combattre cela. Dans les villages ou mes collections naissent, les gens peuvent rentrer le soir et retrouver leurs enfants après une journée d’école et apprécier un repas maison (…) Ils sont heureux est ceci est indispensable dans le processus de travail »
Retrouver ses parents : dans tout les contes, la menace de séparation hante le récit. Rahul Mishra se fait la douce voix d’une histoire ou les parents et les enfants se retrouvent. La famille est un élément indispensable pour comprendre cet homme, qui n’hésite pas à partager avec nous des photos de sa fille. « Elle a tout juste deux ans, elle me manque pendant ces longues tournés ». Il reçoit alors un message « Daddy I miss you ».
Sa fille est une véritable source d’inspiration. » Vous avez vu le film Zootopie? Même si je l’ai vu en boucle je suis toujours heureux de le revoir. » Ce monde de l’enfance, ludique et léger donne naissance aux imprimés « jungle » de la dernière collection. Des dessins d’enfant. Le dessein d’une famille unie.
« Avec ma fille j’ai vu des abeilles : c’est rare de nos jours ! Je l’ai immédiatement pris comme un signe. Les abeilles se guident à l’aide de la lumière et reviennent toujours à la ruche. Aujourd’hui les gens bougent si vite : ils ne voient plus les détails. C’est comme s’arrêter et prendre le temps de sentir les roses. » Ainsi la collection été 2018 rend hommage aux abeilles, et tout ce qu’elles peuvent symboliser. Elles -élément capital de notre écosystème, aujourd’hui menacé.
S’adapter, aimer et intégrer les besoins de chacun dans un vaste tableau. Si Rahul Mishra aime les impressionnistes, il en est un également. Cet élégant visionnaire confie que Paris reste la scène la plus forte de la mode. En cette veille de Fashion Week il semble important de reprendre ses mots
» C’est la scène la plus internationale que je connaisse. Des créateurs belges, anglais, américains, asiatiques et indiens …C’est cela qui fait son pouvoir. J’en parlais avec une journaliste italienne: elle m’a approuvé! «
Un entretien tout en sourire ou il nous dit « au revoir », en français. » J’apprend, c’est important! « . Pour la présentation de la nouvelle collection ce samedi : son français aura encore fleuri- à coup sûr.
Un designers 100% non-pollué.