Zoartoïste (et autres textes) – Catherine Gil Alcala
Editions de La Maison Brûlée – 15€
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Idylle de traîtres dans les cités de sables mouvants,
Dissipation de la saveur amère des mots,
Boule abyssale des sensations,
Descente d’entrailles délacées…
Berceuse insidieuse au parcours dissonant…
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C’est le brouillon d’un rêve. Cela se fait passer pour fouillis, mais – en fait – pas tant que ça. Des textes de théâtre et de poésie très inspirants, et insensés, autour d’une allégorie de la mort et de la renaissance. Un rite, un rythme. Il y pétille une douce folie, « tapage des miracles, tourbillon des rêves, des sons, des sens ». Catherine Gil Alcala, auteur, metteur en scène, performeuse, définit son ouvrage de livre d’oracles. L’expression d’une autorité des mots et des idées. On y pénètre comme on le souhaite, c’est à la liberté qu’il s’adresse. L’écriture est organique et sensuelle, brute, et rappelle le désir ardent dans l’acte d’écrire. Vous n’y comprendrez pas un mot, vous serez happé par du plus grand, du plus fort, ou simplement quelque chose de nouveau qui se présente. Objet de curiosité qui mérite un intérêt réel.
Elisa Palmer. Pouvez-vous m’expliquer ce titre quelque peu original « Zoartoïste » ?
Catherine Gil Alcala. C’est un mot que j’ai entendu dans un rêve. Ça ressemble à un mot valise contenant plusieurs mots et une condensation de différents sens : Zoo, Zoar, Zoroastre, Artaud, Taoïste, Artiste, Autiste, Théïste… d’où l’interprétation et la réappropriation de mon propre rêve dans le livre : « Zoartoïste… prononce une voix de noyé dans un rêve… c’est le nom d’une divinité animale du monde archaïque… ou d’un démiurge industrieux dans la dent creuse d’une caverne tellurique… » (p 15), « … Arto l’autiste rase les murs dans un abîme de sons, les prières des moines taoïstes se dispersent en ondes radio sur l’ionosphère… » (p 17).
Elisa Palmer. Comment ce recueil a-t-il été assemblé ? Pouvez-vous m’expliquer les liens ou l’absence de liens entre les 2 parties ?
Catherine Gil Alcala. Zoartoïste est une pièce de théâtre et Les Contes Défaits en Forme de Liste de Courses est un recueil de poèmes. Il n’y a pas de lien fondamental entre ses deux parties, si ce n’est que Zoartoïste peut aussi bien être perçu et lu comme de la poésie et qu’il y a eu plusieurs performances musicalo-poétiques tirées des poèmes de Contes Défaits en Forme de Liste de Courses. Je ne fais pas de réelle différence entre la poésie et le théâtre parce que je fais un travail sur le langage, sur la matérialité du langage faite de son, de sens et d’image. Dans l’antiquité, les auteurs de théâtre étaient les poètes, ce sont des langues musicales faites pour être à la fois parlées, scandées, chantées, écoutées, lues. À l’issue des spectacles et performances, les spectateurs expriment souvent le désir de lire le texte, de le redécouvrir plus en détail par la lecture.
Elisa Palmer. Comment ce recueil doit-il se lire et s’appréhender ? Y-a-t-il un ordre de lecture ?
Catherine Gil Alcala. Je me suis beaucoup posé la question de l’ordre, finalement je l’ai mis dans l’ordre d’élaboration de l’écriture qui m’est apparu comme le plus cohérent, mais chacun peut choisir son ordre de lecture puisque Zoartoïste est constitué de plusieurs éclats d’un miroir brisé… et les Contes Défaits en Forme de Liste de Courses contient une multitude de poèmes qui ont chacun leur propre vie et autonomie. Je pense que chaque lecteur s’approprie le ou les poèmes qui trouvent un écho en lui. Un livre de poésie, comme un livre d’oracles, peut s’ouvrir au hasard dans n’importe quel ordre… J’ai souvent été traversée par cette idée ou impression du poème oraculaire ou de l’oracle poème, car ils contiennent tous les deux une dimension énigmatique et une multiplicité de sens et d’interprétations.
Elisa Palmer. Le lexique choisi, tout à la fois dans Zoartoïste comme dans les Contes Défaits en Formes de Liste de Courses, est très corporel, charnel, viscéral, possédé, éruptif… Pouvez-vous me l’expliquer ?
Catherine Gil Alcala. Au départ cela n’a pas dû être un choix véritablement conscient de ma part, mais effectivement j’ai depuis longtemps ressenti l’écriture comme organique et vivante, je ressens souvent que l’écriture m’échappe, qu’elle peut me dépasser et écrire toute seule. J’écris du théâtre et de la poésie qui, comme je l’ai déjà dit, sont intimement liés, et pour moi cela prend tout son sens car les transes de possessions Dionysiaques sont à l’origine même du théâtre. Avant d’écrire, j’ai fait du théâtre et j’ai vécu ma première expérience du théâtre comme une transe ou une possession, c’est-à-dire que je suis devenue quelqu’un d’autre en un instant sans l’avoir prémédité et sans comprendre ce qui m’arrivait. Je pense qu’en apprenant par cœur les écritures, en les intériorisant, je les ai vécues à travers le corps, j’ai retracé le processus vivant des écritures. J’ai été possédé par les esprits des morts au théâtre, Shakespeare, Eschyle, Antonin Artaud… Ce sont eux qui m’ont appris à écrire et il y a beaucoup d’émotion de chair et de sang dans ce théâtre, de même qu’il y a véritablement du désir dans l’acte d’écrire et de créer en général. Et pour faire une citation, Jacques Lacan dit que l’imaginaire c’est l’image du corps.
Elisa Palmer. Comment avez-vous écrit ces deux textes ?
Catherine Gil Alcala. En l’an 2000 j’ai fait une création de théâtre d’images qui s’appelait Zoartoïste, c’était sur une trame onirique, sur le thème de la mort et de la renaissance, sur les transformations, il n’y avait presque pas de texte. J’ai eu envie de réécrire ce spectacle et d’en faire un théâtre de texte notamment à cause de ce titre énigmatique que j’avais entendu dans un rêve et qui persistait dans ma mémoire. J’ai donc repris le thème et la trame du spectacle comme squelette de l’écriture pour donner lieu à une nouvelle création, et c’est devenu tout autre chose. Contes Défaits en Formes de Liste de Courses est un tourbillon d’aphorismes et de poèmes que j’ai écrits à partir des assonances pour faire apparaître les mots dans les mots, révéler les sens dans les sons. J’ai envie de découvrir quelque chose, des sens cachés à travers l’acte d’écrire, comme je l’ai déjà dit plus haut cela n’est pas si éloigné d’un livre d’oracles.
Elisa Palmer. Pourquoi parlez-vous de « liste de courses » dans le second texte ?
Catherine Gil Alcala. Bonne question, c’est une référence à l’art des fous qui ont la manie des listes. J’ai mis les poèmes en forme de liste alors que souvent dans les mises en pages traditionnelles de poésie c’est un poème par page. J’ai toujours été passionnée par la folie, par l’art des fous, par les artistes fous… à quatre ans déjà, j’aspirais à la folie, à m’échapper de la réalité. D’ailleurs Dionysos est le dieu de l’ivresse, de l’extase, du théâtre et de la folie.
Un grand merci à Catherine Gil Alcala pour son temps et sa patience.
Elisa Palmer