Lorsque Adrien Sahores m’a parlé pour la première fois de son idée de défilé de mode, je n’ai pas pu m’empêcher d’être quelque peu sceptique. Non pas que je ne lui fasse pas confiance quant à l’organisation ou à ses talents d’organisateur. Mon état d’esprit était le suivant « Quel intérêt, un garçon avec son CV, son expérience en tant que mannequin homme, un titre adulé, vénéré même, pour les plus grands noms de la mode ( Dior! Kris! Raf! Yohji! Et j’en passe), aurait à aller s’encombrer de la tâche ô combien fatigante, titanesque et pénible que représente l’organisation d’un défilé ? » (Une question à rallonge comme on s’en pose souvent dans le milieu, bien que mon intention n’ait pas été d’être « snob » ou encore condescendante, voyez-vous).
Le garçon ténébreux, mystérieux tel qu’on le connaît (ou peut-être tout simplement occupé, mais cela sonne tout de suite moins glamour…) a développé sur les détails du fameux défilé une semaine avant que celui-ci n’ait lieu (autour d’un excellent dîner composé de pasta, de vin le tout rappelant Milan, la fashion week, les défilés de mode et donc terriblement approprié pour l’occasion).
« Avec un groupe d’étudiants de mon école, nous avons ce projet dans le cadre d’un de nos cours (Project management, évidemment). Nous avons l’intention d’organiser un défilé de mode en partenariat avec l’une des associations de nôtres école ainsi que des créateur de la région de Rouen. Notre but ultime serait de promouvoir d’une part le potentiel de ces créateurs mais aussi prouver que nous sommes capables de réaliser un défilé de mode de A à Z. »
« Intéressant » dis-je non sans me demander ce que serait mon rôle dans l’histoire.
« En fait, ce serait bien que tu puisses y assister » me dit-il. « Ah, pour écrire un article dessus !? Oui, bien sûr, avec immense plaisir » répondis-je dans un mélange d’excitation tintée de hâte.
« Non, je ne te demanderais tout de même pas d’écrire un grand article sur le défilé! Mais ce serait bien que tu puisses nous aider à promouvoir certaines des créations… »
En fait, ce qu’Adrien me demandait était la preuve même de son abnégation. Il n’était pas intéressé par la promotion de son travail (un homme de hombre) ou par le fait que je chante les louanges de ses qualités d’organisateur. Il voulait que je fasse la promotion des créations et uniquement de celles-ci.
« Je sais que tu as bon goût, mais ne sois pas trop dure tout de même« , conclut-il, l’air amusé.
Et pourtant j’en suis déjà à quelques paragraphes ou je n’ai pas encore dit un seul mot sur les créations! (J’y arrive). Pourquoi ? Eh bien tout simplement car je défends avec ferveur le talent et le travail, et les efforts effectués par Adrien et ses camarades étaient assez impressionnants et bien intentionnés pour que je les passe sous silence. De plus, la modestie dont il a fait preuve ne pouvait que m’encourager à le mettre lui aussi en avant (ça et le fait que j’adore désobéir…..mais je m’égare).
Avance rapide la semaine suivant notre dîner, le jour du défilé donc, un 24 avril, me voici en chemin vers Rouen afin d’assister au Rouen Young Designers Fashion Show.
Le temps, radieux et doux, collait parfaitement à l’ambiance joyeuse et collégiale du moment. Dès mon arrivée à l’école (en charmante compagnie), j’étais accueillie par le contexte du défilé : celui-ci serait à l’extérieur, je serai assise au premier rang (!!!) parmi les administrateurs de l’école. Des tapis bleus délimitaient le runway (et je ne pu m’empêcher de repenser à tous ces défilés ou l’on a pas le droit de marcher sur le podium avant le défilé!). J’ai rarement été aussi surprise par la façon dont on m’accueillait et l’attention que je recevais! Adrien et moi avons profité que le show se mette en place pour aller faire une visite éclair backstage ou j’ai pu apprécié l’ambiance qui régnait entre les étudiants devenus modèles pour l’après-midi se préparaient et riaient.
L’atmosphère était différente de ce que j’avais pu voir lors de défilés « professionnels » dans le sens ou les personnes que je croisais avait l’air heureux et détendu, ce qui a d’ailleurs amené Adrien à me préciser que tout cela était « fait exprès ». Il voulait que le défile soit une réminiscence des défilés d’antan, lorsque les modèles n’avait pas l’air énervé ou maladif et qu’il y avait une véritable interaction entre le public et le podium.
Le défilé étant sur le point de commencer, j’allais m’asseoir. La liste des créateurs ayant fait défiler ce jour-là est plûtot longue. Et c’est maintenant que je commence à en parler (enfin!).
Et c’est avec Jeffrey Fernandes Soares (Aucun lien avec Adrien SAHORES, je tiens à le préciser), le plus « professionnel » des créateurs présents. Originaire de Rouen, ses créations sont inspirées par l’époque victorienne avec une forte inspiration steampunk. Les vêtements, compromis entre histoire et création de mode incluent des corsets, de longues traines, des accessoires pour le moins surprenants (la ceinture à fioles et ciseaux!) et dégagent une aura théatrale. La forme des jupes, les chapeaux et le beau temps me rappelent forcément la scène de tableau de Georges Seurat « Un dimanche après-midi à l’Ile de la Grande Jatte » et les silhouettes masculines et fémininés nous sont présentées.
Jessica Mussi, une étudiante de l’école était une des mes favorites ce jour là. Elle a présenté elle-même sa seule création (une robe de mariée) mais la qualité surpassait largement la quantité. Une robe blanche, à panel où se mélangent les matières et les transparences. Comment ne pas aimer?
Axel Pinhot Marie crée des vêtements et looks « effortless » mais portables pour femmes. Le noir est utilisé à grand renfort dans ses créations ainsi que les matières fluides (et des drapés!).
Déborah Largillière se concentre sur le womenswear et plus particulièrement les robes. Celles qui nous sont montrées lors du Rouen Young Designers fashion show sont fluides et du genre à s’adapter durant la journée à toutes les occasions (business, casual, cocktail). De subtils clin d’œil aux années 90 sont effectués à travers l’utilisation de lamé et des maintenant iconiques bretelles spaghettis.
Poline Heurtaut est celle qui inclue le plus de mélange de matières dans ses créations : des plumes au cuir en passant par diverses matières transparentes et des oeillets, les directions prises par la jeune créatrices sont nombreuses. Plutôt orientée vers le womenswear, je dois admette que je suis conquise par la robe de mariée (décidément!) : les fentes, les bretelles, le décolleté, les longueurs, la matière transparente, la superposition, cette pièce est à elle-même un concentré de tendances.
Et enfin, nous avons Mylène Bazin, une jeune créatrice qui crée du daywear pour femme élégant et cintré. Une cape retient mon attention car elle est composée de panels de cuir et un intérieur de laine qui copie le mouton retourné. Elle s’aventure même du coté du design de LA PIÈCE LA PLUS DIFFICILE, c’est-à-dire la veste qui est ici accompagnée de zip et de mélange de matières.
Ce que l’on peut retenir « Rouen Young Designers Fashion Show » en plus du travail, on l’imagine, acharné des créateurs, est le travail incroyable des étudiants de Rouen Business School. Oui, connaissant le milieu professionnel de la mode, j’étais sceptique au départ mais ils ont réussi à estomper mes doutes dans un tourbillon de joie et de débrouille adorable qui ne m’ont pas laissé insensible et qui m’ont rappelé une autre époque de l’a mode ou les choses étaient « fun, fun, fun » pour tout le monde et ou les créations ainsi que l’organisation faisaient partie du plaisir plutôt que l’industrie que l’on connait aujourd’hui. Il m’a aussi prouvé qu’une belle gueule n’était pas incompatible avec une capacité de réflexion et un cerveau, n’est-ce-pas Adrien Sahores ?
Mary Yasmine Arrouche (en front row!!)