Joana Vasconcelos a investi Versailles. Aux détracteurs de l’Art contemporain en ces lieux, il suffit d’opposer quelques mots de Catherine Pégard, Conservatrice du Musée Château de Versailles, ‘il n’y a pas d’incongruité à la présence de Joana Vasconcelos à Versailles’.
Artiste franco-portugaise, Joana Vasconcelos aime provoquer les acquis esthétiques et culturels. Par ses divers questionnements, elle interroge, tente de plaider la cause des femmes. Certaines de ses œuvres antérieures telles La Mariée (2001/2005), Burka (2002) amenaient le propos très loin et peuvent être perçues comme revendicatrices. Des tampons OB au voile intégral, des couverts en plastique aux casseroles inox, l’artiste cerne la condition féminine à travers le prisme contemporain.
15 œuvres élaborent un parcours artistique inédit. Escalier Gabriel, Galerie des Glaces, Salons de la Guerre et de la Paix, Chambre de la Reine, et quelques autres espaces prestigieux les abritent. Quelques unes jalonnent le jardin. Certaines pièces ont été crées spécifiquement pour cette présentation. La Perruque, Le Dauphin et la Dauphine, Les Gardes, Lilicoptère, ..sont de cette veine.
Première femme artiste contemporaine à déployer son onirisme, là, elle assume ses choix. Enthousiaste, elle a su mobiliser divers mécènes privés et publics en France et au Portugal.
De pièce en pièce, des Walkyries, élément récurrent dans l’œuvre de Joana Vasconcelos, aux Souliers de Marilyn, la jeune femme confronte sa définition du Luxe à celle de Louis XIV. Loin, très loin des rehauts de feuille d’or sur les stucs, des matériaux précieux usités pour la décoration de l’édifice, elle se joue des convenances en donnant un libre propos à des ustensiles divers et de peu de valeur. Casseroles en inox, fourchettes en matière plastique gagnent en considération après être passées sous les mains de Joana Vasconcelos.
Le réel luxe n’est-il pas celui du créatif, lui capable de transfigurer les éléments ? Poésie des faubourgs confrontée à celle des palais, le set est ouvert.
En deçà, toujours la condition féminine. Versailles a été un carcan pour certaines de ses grandes locataires. Marie Antoinette a cherché frénétiquement à ‘s’échapper’. De subterfuges en divertissement, n’est-elle pas restée prisonnière de ses prérogatives, des contingences de la matérialité ?
Le Dauphin et La Dauphine retranscrit cela très bien. Deux langoustes face à face, se languissent sur une table dressée. Ils incarnent les successeurs royaux. Reclus ils le sont à double titre. De par leur nature, leur être s’avère enchâssé par leur carapace. De par la volonté de la créatrice, car ils sont également gainés de dentelle. Elément protecteur mais également fourreau astreignant, celle-ci met en exergue la perte d’un réel libre-arbitre.
Par le choix de cette dentelle, implicitement liée au Portugal, la créatrice s’intéresse, en parallèle, au quotidien de ces ouvrières à l’existence brimée. Femmes de la noblesse, dentellières, comment échapper à l’exigüité d’une existence ?
Les Gardes, Lions sculpturaux, taillés dans le marbre de Port Laurent étayent le propos. Symbole absolu du pouvoir, lequel s’avère très fréquemment masculin, ils se retrouvent emprisonnés par le tracé sinueux de la dentelle. Cette soudaine emprise esthétique et symbolique du féminin sur le masculin est édifiante. Les femmes cherchent-elles délibérément le pouvoir, et ce depuis toujours ?
Pus loin le Lilicopthère (2012), hélicoptère Bell 47, a été féminisé. Plumes d’autruche, cristaux Swarowski, applats de feuille d’or, cuir teinté délicatement ciselé d’or, l’engin est quasi-méconnaissable.
Parler du Luxe, redéfinir le luxe et les possibles féminis tels est l’enjeu de cette exposition.
Quelques propos échangés avec Joana Vasconcelos
Quelle sensation éprouvez-vous en exposant en ce lieu mythique ?
J’ai l’impression de me confronter à l’Histoire. J’ai souhaité créer des œuvres spécifiquement pour cet espace mais en mettant en exergue la notion de contemporanéité.
J’ai également voulu des pièces très fortes, exécutées pour Versailles mais réalisées au Portugal. C’est une manière de proposer d’autres liens entre deux pays, deux pays qui me sont chers.
La Perruque, sculpture-objet dans la Chambre de la Reine parait revêtir une symbolique particulière ? Ces dix-neuf perruques aux coloris divers, le corps ovoïde ont-ils une connotation pour vous ?
En fait, ces perruques rappellent que plusieurs reines ont vécu là. Dix-neuf enfants y sont nés. La forme ovoïde est comme un écho à cela.
Combien de temps a été nécessaire pour élaborer cette exposition ?
Un an et demi,.
Je vois dans votre travail de nombreux éléments connexes à la Mode. La Mode vous intéresse-telle ? Pensez-vous élaborer un projet où elle aurait une place en quelque sorte primordiale ?
En effet, je suis sensible à la Mode, à divers matériaux tels la Plume, la Dentelle etc ..
Je pourrais être intéressée par un tel projet.
En même temps, cela parait être un jeu. Ces perruques rappellent l’intérêt de l’époque pour ce type d’accessoires. Pourriez-vous imaginer une Reine se parant de l’une d’entre elles, hésitant, en essayant une autre ? Vous avez également évoqué indirectement les jeux de la séduction féminine à une toute autre époque ?
C’est exact. J’aime établir des ponts entre une autre période historique et maintenant.
Evoquer fantasmagoriquement l’idée de choix pour une femme de l’Ancien Régime serait-ce pour vous une façon de lui restituer une part de liberté ?
Oui, cela fait partie de ma démarche.
A découvrir ou redécouvrir au Château de Versailles jusqu’au 30 septembre. www.chateauversailles.fr