Home Art de vivre Secrets de création 2 – Lisa Sartorio joue le  » Je  » de la transformation

Secrets de création 2 – Lisa Sartorio joue le  » Je  » de la transformation

by Woesland
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Comment capter l’instant avant que tout ne se décide, ne se révèle, ne s’impose comme définitif, sur du papier, dans la mémoire, au fond du cœur ? Depuis plusieurs années, Lisa Sartorio, artiste plasticienne, tente de prolonger cet instant décisif pour qu’il devienne « moment d’histoires ». Décoractif, l’exposition consacrée à ses travaux photographiques, présentée actuellement à la Galerie Binôme, située au cœur du Marais à Paris, est le fruit d’une longue quête personnelle et singulière. Une invitation à faire un pas de côté au risque de se « décaler de soi ».

Panoramique de l’intime.

Une plage. Un ciel bleu de fin d’après-midi. Ligne d’horizon coupée par un poteau. Des maisons blanches qui rappellent ces villages des bords de mer. Au sol, un triangle est tracé, branche d’étoile tombée là par hasard ? Au premier plan à droite, des femmes, l’une tête baissée, l’autre se tournant vers elle, plus loin un homme qui les regarde. Que font-ils ? Qu’attendent-ils?  Quand on regarde quelqu’un, sa façon de se poser dans l’espace, il y a quelque chose par sa posture qui le dévoile, qui raconte sa vie, explique Lisa Sartorio qui s’est inspirée du cinéma pour créer cette série intitulée Suspension. Dans les premiers films de Michelangelo Antonioni, la posture des personnages donne à voir des corps en attente et en fatigue, comme s’ils étaient à la fin d’une histoire, au moment où tout a été dit. Cette limite-là est très belle.  

Pour mettre en scène cette limite, l’artiste a cherché à créer un effet de travelling qui prolonge ce moment de « fin d’un monde ». Au cinéma, l’image s’intègre à l’intérieur d’une succession d’images, souligne-t-elle, j’ai eu envie de créer des images qui donnent à voir cet espace temps à l’intérieur d’une seule image. Et pour que la fiction surgisse dans cette réalité recomposée, l’artiste n’a pas hésité à superposer les images, comme ici, dans ce vieil hôtel à Bourboule, en attente de reconstruction, ancien lieu de passage dont les chambres aux tapisseries déchirées témoignent d’un temps révolu. En prenant des bribes de cette réalité, Lisa Sartorio parvient à recomposer un espace qui intègre un mouvement circulaire. La dernière pièce sur la droite permet de rejoindre la pièce au fonds à gauche sur la gauche, explique-t-elle, c’est construit en boucle, ce qui donne à l’image, une sensation de moment suspendu. Et toujours, cette même question qui surgit : mais que font tous ces gens, comme abandonnés à eux-mêmes ? 

Prémices d’une histoire.

On a besoin du faux pour raconter, confie Lisa Sartorio. Du faux pour se raconter ? Car cette volonté de contrarier les instants photgraphiques et de les prolonger par une recomposition de la réalité ne cacherait-elle pas une quête de soi ? Je viens de la sculpture qui m’a amenée à la photo. Ce qui m’intéressait dans la sculpture, c’est l’idée de déplacement, alors que ce n’est pas un médium propre au déplacement. Ce qui m’intéressait, c’était de l’ordre de la peau, de la surface, ce qui autour de la sculpture pouvait faire naître un mouvement. De ces vides et de ces pleins, Lisa Sartorio en a créé des parcours. Qui dit parcours, dit narration. J’ai pris des photos. Et me suis rendue compte qu’entre chaque photo, il y avait un espace intéressant et qu’en mettant ces photos, les unes à côté des autres, ça racontait une histoire. Puisque je crée une narration avec des images, ce qui serait intéressant, c’est de créer une notion de déplacement et de temps. J’ai commencé à créer des images où des instants de vie se retrouvaient dans ces images… Ainsi, chez Lisa Sartorio, tout s’inscrirait dans un perpétuel mouvement de transformation. Comme si elle cherchait par là-même le pourquoi des êtres et des choses, avec le désir de toucher à l’essentiel, et peut-être de se rapprocher de ce qu’évoquait Goethe : « la forme la plus rare garde en secret la forme primitive. »

Décoractif, déconnexion.

Etape décisive de son travail : l’insertion dans le réel. C’était intéressant de me confronter à la pratique de l’instantané, de me confronter à une image qui n’est pas en relation avec d’autres images, confie Lisa Sartorio, pour expliquer sa plus récente série de travaux photographiques qui porte justement le nom de l’exposition : DécoractifDes portraits d’hommes et de femmes, en interaction avec un animal dans un décor aseptisé : le show-room d’une grande entreprise de cuisines et de salles de bains, situé non loin de la Gare de Lyon. Dans ces lieux, le désir et le fantasme sont mis en avant. Ce qui est étrange, c’est qu’on dépersonnalise ces lieux pour qu’on puisse s’y projeter. Ça m’a toujours fasciné. Comme dans la série Suspension, les personnages sont dans des postures qui révèlent ce qu’ils sont et qui permettent aux spectateurs de se projeter. On est resté plusieurs jours dans le show-room en pleine journée sous l’œil des visiteurs. J’ai essayé d’intégrer leur regard lors de la prise. Résultats : elle parvient à créer un « moment de déconnexion ». Entre fiction et réalité, à chacun de faire sienne son histoire. En cela, Lisa Sartorio offre aux spectateurs  la possibilité d’un vrai retour sur soi. A vivre donc… 

Décoractifs, exposition consacrée aux travaux photographiques de Lisa Sartorio jusqu’au 16 juin à la galerie Binôme – www.galeriebinome.com

Et du 24 août au 20 octobre 2012, Galerie L’R  du Cormoran à Bornes-Les-Fontaines.

 

par Odile Woesland – 24 mai 2012

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