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Vie animale de Justin Torres

by Elisa Palmer
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Paris, jour du Seigneur,

Dimanche 15 janvier 2012,

Ce premier roman, qui n’excède pas les 150 pages, est court. Et pourtant, en bon escroc, l’auteur nous balade sur plus de la moitié de l’histoire avec son « on » intempestif. « On en voulait encore. » « On ne voulait rien, juste ça, que ça. » « On s’est arrêtés un instant, le temps de souffler. » Et ce n’est que le début… Du coup, l’imposante question du « mais p… qui prend la parole ? » s’immisce – d’entrée – dans la lecture.

Dans l’âpreté et la violence d’une famille de cinglés, comme la société sait toujours en faire, une meute de trois frères s’essaye à la vie. Quand le père donne – à grands coups – la bastonnade à sa femme et fait croire aux enfants que c’est le dentiste qui l’a salement amochée, la mère – elle – désaxée à 360° et faiblarde à la mort, peut sans mal oublier de nourrir les chairs de son sang.

« Au milieu du chaos », on regarde en plan fixe ces trois gamins, aux silhouettes encore mal définies, se plier aux exigences irrationnelles et toutefois irréfutables d’une famille désorientée. Rester en orbite, dealer constamment avec la vie, appréhender les prises de risque pour mieux tenter de les contourner, endosser des rôles forcés qui ne sont pas censés être ceux de l’enfance… Grandir, en sorte, un peu en diagonal.

Une vie en V.

Le « on » polluant n’est – somme tout – que la voix de soprano du plus jeune. Un « je » qui même s’il s’est construit au sein d’une fratrie, est issu du même montage génétique, semble être le candidat gagnant du trio, tant sur le virage de l’intelligence, l’expérience intime des frontières, que sur celui d’une extrême sensibilité qui propose de jouer à quitte ou double avec l’existence.

Elle a dit que t’étais si brillant.

Si brillant !

Et tu sais quoi ? Elle a dit que t’étais capable de te détruire, aussi.

La façon qu’elle a de parler de toi, a dit Joel, on dirait que tu es un vase en cristal, putain.

Le premier roman s’ancre dans la grosse machine à broyer des récits autobiographiques, mais on n’a pas à tortiller, celui-là, il se veut être un bon cru. Justin Torres, et on lui pardonne jusqu’à son prénom (c’est tout dire…), slalome habilement – bille en tête – entre sensibilité poétique et épisodes apocalyptiques. Et on s’en réjouit parce qu’il y parvient… Il évite à peu près tous les pièges du genre qu’il aurait pu nous refourguer à l’envi.

D’une histoire nourrie par un pluriel, et qui ne parvient à grandir que sous la pression de cette idée de fraternité en guise de tuteur, se révèle l’expérience singulière d’un gamin qui flaire des parfums différents et poursuit des lumières que seul lui sait voir. Vie animale ne lâche pas le morceau, tout du long, et enchaîne avec brio un lecteur gonflé par l’incroyable vivacité intellectuelle de ce Petit Etre issu du rien.

A lire.

Elisa Palmer

 

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