Deux enseignants-chercheurs de l’ESC Pau ont mené une étude sociologique expliquant la baisse de la consommation de vin en France par les générations
Suite aux résultats publiés par l’OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin) au 34ème Congrès de Porto en juin dernier qui faisaient notamment état d’une baisse de la consommation de vin en France de 17 %, en volume, sur les 8 dernières années, Thierry Lorey et Pascal Poutet, enseignants chercheurs à l’ESC Pau ont mené une étude expliquant la baisse de la consommation de vin en France par les générations. Pour mener à bien leurs travaux de recherche, ils ont choisi l’approche sociologique des représentations du vin selon les générations. Ils ont ainsi publié les résultats de cette étude dans l’International Journal of Entrepreneurship and Small Business – volume 13, n°2.
Le constat de départ
L’objectif des deux enseignants chercheurs palois est d’expliquer les données publiées par l’OIV au 34ème Congrès de Porto.
Thierry Lorey et Pascal Poutet ont ainsi examiné l’évolution de cette consommation en distinguant les consommateurs en fonction de leur génération et non de leur catégorie socio-professionnelle, de leurs autres habitudes de consommation… Cette approche sociologique des représentations du vin selon l’appartenance à une génération est aussi inattendue qu’innovante. En effet, même si ce principe de découpage a été théorisé par le sociologue Louis Chauvel en 1997 puis par le sociologue et sémiologue Jean-Luc Excousseau en 2000, c’est la première fois qu’il est utilisé pour le vin dans le cadre d’une étude qualitative et donc non économétrique.
39 longs entretiens semi-directifs ont été menés auprès des représentants de la «génération héritage» (les plus de 65 ans), la «génération X»ou «réseaux» (entre 30 et 40 ans, soit la 3ème génération du baby boom) et la «génération Y» ou «mosaïque» (entre 18 et 30 ans). Les résultats font apparaître des représentations du vin et de sa consommation qui diffèrent pour chaque génération.
– l’occasion de consommation : tous s’accordent sur le caractère convivial de la consommation de vin. La fréquence diffère en revanche selon les âges. Régulière (voire quotidienne) pour la génération héritage qui la pratique en famille et entre amis, elle est occasionnelle et surtout festive pour la génération X. La consommation devient carrément exceptionnelle pour la génération Y et seuls les connaisseurs évoquent la notion de partage.
– le patrimoine français : pour tous, le vin évoque la gastronomique et la culture françaises. Les plus de 65 ans font l’association entre le terroir, les pratiques religieuses et les traditions viticoles régionales, la « génération X » se contente de la richesse des appellations et des savoirs et la « génération Y » est désarmée par la complexité des appellations et la trop grande sophistication de l’univers du vin.
– le choix du vin : pour la « génération héritage », choisir un vin est facile. Elle opte en général pour des vins de table, souvent les mêmes. C’est plus compliqué pour les 30-40 ans qui estiment que boire du vin est élitiste. Les plus jeunes aimeraient un contenant plus moderne pour choisir le contenu plus facilement… Mais ils restent attachés aux codes standards qui font que le vin n’est pas un produit de grande consommation comme les autres.
– la santé : pour les aînés, le vin est une boisson saine (tant que la consommation est modérée). Les jeunes générations sont plus préoccupées par les dangers de l’alcool, tant sur le plan de la sécurité routière que de l’hygiène de vie, et plus particulièrement la cible féminine.
Deux ruptures majeures
Deux ruptures majeures expliquent la baisse de la consommation de vin en France. Entre les «générations héritage» et «X» d’abord. Tandis que l’importance des connotations historiques et religieuses du vin diminue progressivement chez les plus jeunes, les aînés ont une représentation collective du vin. Les 30-40 ans de leur côté considèrent que la consommation du vin est réservée aux CSP favorisées. Entre les générations X et Y ensuite. L’absence de transmission (notamment paternelle, à laquelle la « génération héritage » est très attachée) conduit les 18-35 ans à une vision plus individualisée du vin. Ils redoutent ses dégâts sur la santé et le considèrent comme un produit de luxe.
Projections
L’approche générationnelle choisie par les deux enseignants-chercheurs palois permet d’anticiper sur la consommation future car elle suppose que le comportement vis-à-vis de la consommation ne change pas vraiment au fil des années, pour une même génération. On peut donc estimer que le comportement des jeunes d’aujourd’hui préfigure celui des adultes de demain. Si les Français restent encore aujourd’hui les premiers consommateurs de vin au monde par habitant (50 litre par an en 2010), la diminution du nombre de consommateurs réguliers pour chacune des nouvelles générations laisse à penser que la baisse de la consommation globale de vin en France en volume va se poursuivre sous l’influence des « générations X et Y ». Par contre, en valeur, le transfert de la consommation des vins de table vers les A.O.C[1] et les vins de pays devrait se poursuivre, et ainsi accentuer la dimension de statut social du vin amorcé par la « génération X »