Parfois, certains retards ont le mérite de favoriser de belles rencontres. Celle de Philippe Zorzetto en est une. Rencontré lors d’un défilé de mode, il me parle rapidement de son métier : chausseur et de la particularité de ses souliers mixtes. Le comble pour une « shoes addict » !
Lorsqu’il me donne sa carte, je reste doublement frappée. J’avais déjà eu sa carte entre les mains au détour d’une rue dans le Marais. Puis je reconnais l’adresse de sa boutique, étant passée maintes et maintes fois devant sans jamais y entrer, fascinée par les caissons éclairés présentant les chaussures dans la vitrine.
Quelques mois plus tard, j’ai enfin l’occasion de l’interroger sur son métier et de pénétrer dans cette fameuse boutique du Marais.
A peine entrée, je suis frappée par le design de la boutique, chic, élégante et sobre avec au mur des polaroïds géants de Maripol. D’emblée le lieu me plaît. Il ne ressemble en rien aux autres boutiques de chaussures dans Paris. Les modèles pour hommes sont délicatement présentés dans des caissons blancs tandis que de longues étagères abritent les créations pour femmes.
Et l’homme se livre et nous parle de ses souliers de dandys avec passion. Car il ne fait pas des chaussures non, il fait juste des souliers d’exception et cela depuis 2008.
Bonjour Philippe et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Vous êtes chausseur et avez une petite boutique rue Vielle du Temple. Comment un fils d’ébéniste devient chausseur ?
Durant toute mon enfance, j’ai été en contact avec beaucoup de matières telles que le bois et le cuir également. Mon père était ébéniste mais travaillait aussi pour une marque magnifique qui s’appelle Goyard.
J’ai toujours baigné dans cet univers et quand j’étais enfant, j’allais voir mon père travailler de ses mains. Finalement quelque part, être dans des ateliers fait partie de mon ADN.
Pendant un certain temps, j’ai mis cela de côté, j’ai fait des études, j’ai exercé d’autres métiers mais j’avais toujours l’envie au fond de moi de faire quelque chose de mes mains, concrètement. Un jour, j’ai trouvé des vieilles formes de mon grand-père dans mon grenier et je les ai gardées.
J’ai dessiné une collection à partir de ces formes-là mais uniquement pour m’amuser, dans un but purement ludique. Et puis finalement je me suis dit que je faisais un peu les souliers que j’avais envie de porter et que peut-être d’autres personnes auraient envie de les porter.
Je me suis alors pris au jeu. Je me suis en relation avec des ateliers et nous avons créé les premiers prototypes. J’ai passé plusieurs mois dans des ateliers en Espagne où j’ai appris ce métier.
Avoir été élevé dans un contexte artisanal m’a fait me sentir très rapidement comme chez moi dans ces ateliers. Même si ce sont des métiers différents, les gestes sont les mêmes, les gens sont similaires. J’ai appris ce métier très rapidement dans les ateliers.
C’est étrange l’Espagne. Quand on parle chaussures, on pense immédiatement à la France, à l’Italie mais pas à l’Espagne.
L’Espagne a l’avantage d’avoir encore des petits ateliers qui jouent le jeu sur de petites quantités, ce qui n’est pas toujours le cas, d’après mon expérience, en Italie. Je suis venu avec mes croquis, mes idées, j’avais besoin d’apprendre et ils ont souhaité travailler avec moi, c’était un pari aussi pour eux.
En Espagne, on peut encore trouver aujourd’hui des ateliers faisant de petites quantités de façon artisanale dans des villes où existent encore tous les métiers qui entourent la chaussure. C’est très intéressant. Cela existe aussi en Italie mais moins en France malheureusement. Et puis l’Espagne est vraiment à côté, ce qui est très pratique.
Votre concept de chaussures est un concept novateur à Paris. Des chaussures qui peuvent autant plaire aux hommes qu’aux femmes. D’où vous est venue cette idée ? En général, lorsqu’on pense chaussures pour femmes, on pense chaussures à talons de 12 centimètres minimum, escarpins. Vous vous êtes positionnés sur un marché très différent.
Au départ, je souhaitais faire une forme masculine des années 30 qui a la particularité d’être entre ronde et pointue. C’est une forme qui était passée un peu de mode dans la chaussure masculine car on était plus soit sur des bouts ronds soit sur des bouts très pointus. J’ai souhaité utiliser cette forme car je trouvais qu’elle était à la fois moderne et intemporelle pour les hommes.
Assez rapidement, je me suis rendu compte que justement sur le marché des créateurs parisiens, il y avait beaucoup de gens qui faisaient des talons magnifiques. Il me semblait que je n’avais rien à apporter de plus sur ce marché là pour les femmes.
En revanche, je pouvais proposer autre chose pour tout ce qui est plutôt chaussures faciles à mettre, bien faites, cousues, avec des talons pas trop hauts, qu’on peut mettre pour travailler, pour marcher et en même temps suffisamment sophistiquées pour sortir le soir.
C’était intéressant de faire cette proposition aux femmes à Paris qui sont très actives mais qui souvent, n’ont pas trop le choix entre l’escarpin très beau mais pas toujours très confortable et la ballerine ou les baskets. C’était une proposition qui allait bien avec la forme qui a été retravaillée et qui convenait pour les pieds des femmes.
Mes souliers sont des modèles hommes qui sont déclinés vers la femme et non l’inverse. Cela reste des richelieus, des bottines, masculin dans la construction mais correspondant aussi à ce qu’une partie des femmes veulent porter. La plupart ont à la fois des escarpins, des talons de 12 centimètres, et en même temps des bottines plates, des baskets. C’est une proposition un peu différente.
Depuis quelques saisons, on assiste au retour du derby pour femmes.
J’en suis ravi. Dès ma première collection, j’ai fait des derbies, des richelieus, des bottines. C’est vraiment un parti pris de toujours travailler avec la même forme et de proposer quelque chose qui ne suit pas forcément la tendance, mais qui est plutôt lié au style. Peut-être plus ce qui se passe pour les hommes que pour les femmes.
Les chaussures pour hommes sont plus des intemporels, ce qui n’est pas le cas des collections pour femmes conditionnées par tout un tas de choses.
Exactement. Je travaille dans des ateliers vraiment artisanaux et je suis très éloigné de tout ce qui est cahier de tendance. Aujourd’hui, il y a une certaine forme d’uniformisation dans le soulier car ce sont les mêmes ateliers ou les mêmes usines en fait. Et finalement, quelque part, on est forcément influencé par ce que font les autres et c’est normal.
J’essaie justement de vraiment travailler sur des intemporels, sur des basiques mais revisités à ma sauce. Et d’apporter sur des « desert boots », sur des « chelsea boots » ou sur des richelieus ma petite sauce, ma petite musique d’une saison à une autre et savoir qu’en même temps mes clientes retrouvent cet esprit là.
Justement , qu’est-ce que vous nous avez concoctés pour cette saison ? Je vois de la couleur, du rouge, du camel …
Du taupe aussi. Les personnes qui m’inspirent sont mes amis, ce sont des gens que je croise dans la rue.
J’essaie toujours de travailler sur des couleurs faciles à mettre avec les couleurs qu’on a tous dans notre garde-robe : le bleu marine avec le jean, le noir, le gris. J’essaie d’apporter une nouveauté, autre chose que du noir, même si le noir est une couleur que j’adore. Des couleurs qui soient faciles à mettre avec justement le bleu marine, gris, noir donc on retrouve le taupe, le camel, le chocolat, le gris.
J’essaie de travailler avec des peaux qui sont vraiment exceptionnelles. Ce sont des peaux qui vieillissent bien, qui se patinent avec le temps. Il est très important pour moi d’avoir un soulier qu’on va pouvoir mettre sur plusieurs saisons avec une peau qui sera encore plus belle que lorsqu’on l’a acheté.
En regardant vos modèles, le cireur de chaussures m’est venu en tête. Que nous conseillez-vous pour les entretenir ?
Cela dépend de la manière dont on aime porter ces souliers. Certaines personnes aiment avoir des souliers avec un cuir qui s’est patiné, matifié. Donc dans ce cas-là, il faut peu l’entretenir.
D’autres personnes aiment avoir de l’ éclat, il faut nourrir le cuir. Je conseille de nourrir le cuir avec du cirage incolore, de préférence, pour hydrater le cuir comme notre peau puisque c’est de la peau. Et de le faire régulièrement pour retrouver ce côté brillant.
Je travaille uniquement avec des cuirs mats mais lorsqu’ils sont neufs, ils ont un côté brillant. Et si on souhaite retrouver cette brillance, il faut les hydrater régulièrement.
Vos souliers pour femmes correspondent quand même à un certain style de femme, quel est-il ?
Mes souliers s’adressent à des femmes actives qui ont une certaine connaissance de la chaussure. Elles sont très sensibles à la qualité du cuir, à la construction, au cousu Blake – de part en part. Elles ont un œil vraiment affuté et intelligent sur ces modèles-là.
Ce ne sont pas forcément des femmes au look androgyne ou masculin. Ce sont également des femmes qui détournent en fait les souliers, les richelieus ou les bottines avec des tenues très féminines et cela fonctionne bien. Ce qui est très étonnant, c’est que surtout sur un même modèle, on peut avoir une interprétation très différente d’une personne à une autre. C’est vraiment charmant, on peut avoir un esprit totalement différent en fonction de l’âge, en fonction évidemment de la façon de s’habiller. C’est génial de voir que le soulier finalement est approprié par la cliente, c’est que j’adore.
Peut-être un peu plus que les escarpins où finalement on suit les tendances et on va toutes avoir les mêmes. Là, il faut vraiment aimer la chaussure.
Je pense qu’il y a de très beaux escarpins qui sont très bien construits avec des cuirs magnifiques. Pour moi, l’idée c’était d’avoir vraiment des chaussures qui ne soient pas que des chaussures d’apparat, uniquement pour sortir le soir.
Il est important qu’on puisse les mettre tous les jours, vraiment marcher dans Paris, prendre le métro, avoir une vie très active et en même temps sortir le soir lorsqu’on n’a pas eu vraiment le temps de repasser chez soi pour se changer. Et ainsi avoir le sentiment d’avoir quelque chose d’un peu exceptionnel qui est très habillé.
Finalement, il suffit presque de mettre un pantalon à la place d’un jean ou quelque chose d’autre en gardant les souliers pour faire très habillé ou simplement aller travailler.
En regardant vos souliers pour hommes, je dirais que vous créez des chaussures de dandys.
Cela me fait très plaisir. Je dirais même que les femmes sont aussi des dandys aujourd’hui. J’aime la période des années 30-40 qui est une période où les gens étaient très élégants.
Cette forme a certainement été reprise dans les années 60, car finalement les richelieus peuvent être portés de manière très classique avec un costume mais aussi avec un vieux jean, très rock n’roll ou pop rock et ça marche bien.
Ce qui m’intéresse, c’est apporter sur des modèles classiques une forme de nouveauté soit par la couleur soit par le mix des couleurs, des matières mais aussi par des détails. Par exemple, je travaille toujours avec des semelles qui sont cousues mais où il n’y a pas de lourdeur, elles ne sont pas épaisses car je trouve que cela n’apporte rien sauf alourdir le modèle. J’essaie plutôt d’être toujours épuré et d’aller à l’essentiel du modèle pour que ça soit le plus pratique et le plus simple.
Vous dessinez vos modèles et vous travaillez avec un atelier ou vous faites tout vous-même ?
Je fais tout moi-même. Je dessine les modèles, je choisis les cuirs. Je pars dans les ateliers pour faire les prototypes. Je porte les prototypes, très important, car c’est une manière de voir si le modèle fonctionne ou pas et ce que je peux faire pour l’améliorer. Et quand je suis séduit, je les produis pour la boutique.
Comptez-vous ouvrir une autre boutique ?
Nous avons récemment ouvert un e-shop. J’ai une clientèle étrangère qui m’appelle régulièrement et j’ai donc eu l’idée de faire un e-shop pour qu’ils puissent facilement commander leurs modèles. Et ça permet de toucher les gens qui n’habitent pas sur Paris ou qui n’ont pas forcément le temps de venir. Je travaille toujours sur les mêmes formes donc lorsqu’on connaît sa pointure, c’est très facile de commander et d’être sûr de ne pas se trouver.
J’ai également en projet l’ouverture d’une seconde boutique à Paris dans quelques mois.
Faites-vous du sur-mesure ?
C’est un projet que j’ai à cœur, sur lequel je commence à travailler, car j’aimerais beaucoup aller vers le sur-mesure pour proposer des peaux d’exception. Mais il est encore un peu tôt pour en parler.
Où trouvez-vous l’inspiration ?
J’ai aussi la chance d’avoir comme client Matthieu Chédid que j’ai rencontré dans la boutique et avec lequel j’ai sympathisé. C’est quelqu’un qui m’influence énormément car il a toujours de très bonnes idées. Parfois Il me dit qu’il aimerait tel ou tel modèle, ou pourquoi je ne fais pas comme ça. C’est une véritable boîte à idées et c’est très sympa d’avoir des clients comme ça qui m’inspirent.
J’ai également beaucoup d’anonymes comme clients, des architectes, des personnes qui travaillent dans la création, dans les agences de publicité ou dans les galeries d’art du quartier. Ce sont vraiment mes clients qui m’inspirent. J’aime bien être justement dans la boutique pour parler, pour échanger. C’est très important d’avoir leur point de vue et de partager leurs idées.
Pour finir, quelle est la gamme de prix de vos modèles ?
Les prix vont de 300 à 390 euros pour les hommes et de 280 et 360 euros pour les femmes.
Les modèles sont faits à la main, toutes les semelles sont cousues Blake y compris pour les modèles féminins, ce qui est malheureusement de plus en plus rare pour les souliers de femmes. Les modèles sont en petite quantité car je ne suis commercialisé qu’en boutique.
Cela donne un côté modèle exclusif car mes clients savent que ces souliers-là ne se trouvent pas partout et ne sont pas sur les pieds de tout le monde. Parfois malheureusement je suis en rupture de stock sur certaines couleurs et pour certaines pointures.
Et bien merci beaucoup pour ces quelques confessions et nous espérons que beaucoup de dandys passeront la porte de votre boutique de chaussures pour dandys.
Philippe Zorzetto
106 rue Vieille du Temple
75003 Paris
Informations : 01 42 71 39 04
Marie-Odile Radom