Ces dernières années, la conscience « éco-sensible » ou éco-citoyenneté et le développement durable tiennent le haut de l’affiche. Triage des déchets, nouveaux modes de consommation sont devenus le quotidien de beaucoup d’entre-nous. Les artistes contemporains, concernés par ces enjeux, ne cessent de nous sensibiliser à ce problème de société et parfois savent déceler dans certains matériaux ou déchets courants un potentiel insoupçonné de propositions artistiques.
Jusqu’au 20 février 2011, l’exposition REHAB, l’art de re-faire (diminutif de réhabilitation), proposée à l’Espace Fondation EDF, invite à un cheminement aux côtés d’artistes, dont les œuvres aux qualités esthétiques inattendues, détournent des objets familiers, domestiques ou usuels et offrent de nouvelles expériences créatives artistiques à travers la ré-utilisation d’articles abandonnés ou jetés. Ces œuvres proposent de redécouvrir des matériaux dont on croyait avoir fait le tour, du meuble en formica jusqu’au carton d’emballage.
Sculptures, vidéos, photographies ou installations se révèlent les moyens et média de prédilection employés par la quinzaine d’artistes travaillant en France et à l’étranger et réunis par Bénédicte Ramade. La richesse de leur travail illustre la capacité qu’ont les artistes, chacun à leur manière, de cultiver la double dimension du déchet : être à la fois un matériau résolument contemporain aux propriétés physiques ambitieuses et un sujet parfaitement en phase avec les questions sociétales les plus urgentes comme l’environnement.
Sans porter de jugement, les architectes, designers, paysagistes ou artistes expriment à travers leurs œuvres une possibilité de prendre part subtilement à ce débat de société très actuel. L’exposition, sur plusieurs étages, souligne leur engagement et met en perspective les grands enjeux de notre société que sont l’environnement et l’éco-citoyenneté.
D’emblée, le rez-de-chaussée nous met dans le bain à travers sa Révélation et nous renvoie immanquablement vers la nature sacrifiée de jour en jour. Toutes les œuvres présentées interrogent l’identité du déchet, entre matériaux réutilisés et matériaux déclassés, présentant une vision allant bien au-delà de la simple condition de déchet, une nouvelle perspective. On découvre avec plaisir l’installation de l’artiste canadien Steve Lyons, recomposant en 3D avec des matériaux divers (bois, carton, tissu, papier et adhésifs) l’image d’un d’un observatoire juché sur pilotis le long de la rive du lac du Loch Ness et destiné à ne rater aucun cliché du monstre mythique.
Artiste historique de l’Art écologique américain, Mierle Laderman Ukeles présente pour la première fois à Paris Touch Sanitation, œuvre pivot de son action et sa réflexion sur la place du déchet dans notre quotidien. On observe les Beautiful Landscape de l’artiste française Pauline Bastard, obtenus à partir du recoupement de pages de vieux livres d’école et de photographies. On s’interroge devant le clip Dieciseis/Sixteen des artistes américains Los Super Elegantes mettant en scène l’histoire d’amour d’un éboueur et d’une jeune fille de banlieue.
Le formidable palmier luxuriant Black Palm de l’artiste britannique Douglas White nous fait penser à ce que pourrait devenir nos oasis en cas de changement climatique soudain. Au premier coup d’œil, on le pense carbonisé. Puis en s’approchant, la sculpture faite en vieux pneus apparaît dans toute sa splendeur, tel un symbole de la globalisation effrénée qui voit produire du caoutchouc en Amérique du Sud avant que celui-ci ne soit transformé en pneumatiques en Chine, avant d’être monté sur des camions au Moyen-Orient et d’exploser avec la chaleur sur une autoroute saoudienne.
Comme un écho au palmier, la forêt de l’artiste française Eva Jospin-Thoretton Forest est un trompe-l’œil, une illusion de forêt constituée de cartons d’emballage jetés. L’artiste les a accumulé et sculpté telle une matière précieuse, un bois rare. Ses forêts sont constituées de couches innombrables de carton marron basique, créant ainsi des bas-reliefs.
L’oeuvre la plus éloquente de cette exposition est sans aucun doute la sculpture 1 Kilo, P.E.T de l’artiste canadien Tue Greenfort. Sorte d’agglomérat géant de déchets, elle nous montre l’ambiguïté des processus de transformation écologiquement corrects en révélant le paradoxe des attitudes écologiques. Ce kilo de polyéthylène téréphtalate obtenu en brûlant 17 kilos de bouteilles de plastique dévoile le raffinement nécessaire à l’obtention de cette matière non réductible du plastique. Une transformation qui nécessite une grande dépense énergétique et beaucoup d’eau pour satisfaire aux standards du recyclage.
L’artiste néerlandaise Marjan Teeuwen compile, empile, classe et hiérarchise par couleur afin de construire une maison de papier Verwoerst Huis 2 tel un objet compulsif. Un espace étouffant, en équilibre au bord de l’effondrement, constitué de tonnes de papier, destiné à la photographie mais dont émerge une certaine rationalité, une idée de solidité, tout en ambivalence.
Le sous-sol fait la part belle à la réhabilitation via la Métamorphose. Apparaissent alors un portrait chinois, un cabinet de curiosités, une reconstitution et une déconstruction. Ces oeuvres écrivent une archéologie contemporaine en exploitant leurs matériaux de base jusqu’à leur complète métamorphose. Outre une nouvelle installation de Steve Lyons et la Pile érigée sur des rampes plafonnières allumées de l’artiste français Romain Pellas, deux œuvres sortent du lot.
L’artiste française Lucie Chaumont met en évidence l’impact durable de la consommation sur l’environnement avec son installation Empreinte Ecologique. Pendant plus d’un an, l’artiste a réalisé des moulages en plâtre de centaines d’emballages de produits courants du pot de yaourt à la barquette de viande et nous les propose telle une fouille archéologique du quotidien.
L’artiste suisse Christian Gonzenbach nous propose un bien intéressant cabinet de curiosités à travers sa série Skins composée de « peaux » d’électroménager et de l’électronique de consommation courante démontées et exposées tels des masques d’un nouveau genre. Ces nouveaux trophées symbolisent l’obsolescence de l’high-tech, la formidable accélération de la consommation de biens, de produits conçus pour durer mais ayant une existence beaucoup plus courte car ils sont renouvelés fréquemment.
Enfin, le premier étage nous offre une Glissade à travers la réhabilitation. Les œuvres de cet étage offrent des dérapages contrôlés, des mises en équilibre qui défient l’effondrement et parviennent à une prouesse tranquille. Les meubles et matériaux de construction ont perdu leur usage pour devenir quasi méconnaissables. Ils ont muté en sculptures abstraites, abandonnant toute référence à une quelconque réalité fonctionnelle pour mieux tutoyer une nouvelle réalité esthétique.
L’artiste Français Damien Berthet nous parle de démultiplication des ordures à travers son Arrangement, sculpture opportuniste entre deux arbres constituant un monochrome en camaïeu de sacs poubelles ou vidéo d’un « rangement » express et rationnel des ordures ménagères sur un coin de rue marseillais.
Beaucoup d’autres œuvres sont proposées, l’exposition dressant ainsi un état des lieux d’un débat de société amené à prendre de plus en plus d’importance, mais à travers une perspective différente. Au lieu d’être un espace d’exposition présentant des solutions écologiques ou « éco-friendly » ou bien recensant les catastrophes à venir dans cette société de sur-consommation, l’exposition REHAB, l’art de re-faire se veut plus être une exploration totalement distanciée du sujet au risque de dérouter parfois le spectateur. Néanmoins, en détournant ces objets familiers, elle nous fait certainement nous questionner sur notre mode de vie et notre société de consommation à outrance.
REHAB, l’art de re-faire
Espace Fondation EDF, 6 rue Récamier 75007 Paris
Entrée Libre
Marie-Odile Radom