« Si on retouche trop, on gomme la vie. Ce n’est plus de la photo, c’est de la chirurgie esthétique. » Peter Lindbergh
En écho à la grande exposition au C/O Museum de Berlin de l’un des maîtres incontestés de la photographie de mode Peter Lindbergh, la Galerie Polka vient d’accueillir une rétrospective du célèbre photographe allemand. Plutôt habituée à rendre hommage au photojournalisme, on pourrait s’étonner que la Galerie Polka s’intéresse à un photographe de mode mais Peter Lindbergh est bien plus que cela.
Il montre les femmes telles qu’elles sont avec leurs défauts, qu’il sait sublimer comme aucun autre. On dit de lui qu’il est un photographe de mode qui ne photographie pas la mode. A travers ses photographies, ce n’est pas tant l’image d’un vêtement ou d’une femme ultra-sophistiquée et artificielle qu’il véhicule, non, c’est bien La Femme qu’il montre, bien ancrée dans son époque, avec sa sensibilité, son univers. Ces clichés ne ressemblent en rien aux photographies de mode classiques, ce sont plutôt des témoignages d’une époque, d’une idée de la féminité et tout simplement de l’air du temps. Et c’est en cela que la photographie de Peter Lindbergh tient du photojournalisme.
Peter Lindbergh, de son vrai nom Peter Brodbeck, est né en 1944 en Allemagne. Sa mère l’imaginait devenir carreleur, lui préférait être étalagiste. Mais c’est finalement vers la photographie qu’il se tourne dès 1971. Au milieu des années 70, il devient l’assistant d’un grand photographe allemand Hans Lux qui, pendant deux ans, va lui apprendre toutes les ficelles du métier. Sa première série, déjà marquée par un style évident, paraît en 1978 dans le mensuel Stern, année où il s’installe à Paris et couvre d’abord les défilés de haute-couture. Très vite, les magazines féminins et internationaux, du « Vogue » américain au « Elle » français se passionnent pour son travail et lui commandent des séries mode.
En 1992, il signe un contrat pour quatre ans avec l’American Harper’s Bazaar à New York et dirige des campagnes pour Armani, Jil Sander, Prada, Donna Karan et Calvin Klein. Il réalise également des portraits de personnalités telles que Catherine Deneuve, Mick Jagger ou encore Charlotte Rampling. Cette année est également marquée par la sortie de son premier film documentaire de 60min : « Models : The film » avec Linda Evangelista, Naomi Campbell, Tatjana Patitz, Stephanie Seymour et Cindy Crawford.
Le style Peter Lindbergh a été profondément marqué par les images contrastées de son enfance passée dans la région de la Ruhr. Paysages industriels, endroits sombres, usines désaffectées et structures métalliques se retrouvent souvent dans ses photographies. Influencé par les styles d’Auguste Sander ou le Metropolis de Fritz Lang, l’Allemagne et son cinéma expressionniste se retrouvent dans ces clichés, instants d’émotion à jamais immortalisés. Peter Lindbergh goûte peu à la retouche, refusant ainsi de gommer les singularités faisant une personnalité pour laisser la place à une image brute et forte. Aimant travailler avec des femmes à l’identité forte, il les laisse s’exprimer librement devant l’objectif.
En total visionnaire, l’artiste appréhende de son œil expert les plus belles femmes du monde dès la fin des années 80 : Naomi Campbell, Stéphanie Seymour, Linda Evangelista ou encore Cindy Crawford et surtout Kate Moss… Voyant en elle des diamants bruts, l’artiste a su capturer leur essence en toute bienveillance, bien avant qu’elles ne deviennent les égéries des plus grands couturiers. Il les présente sans fard ni sophistication, vêtues de simples chemises blanches sur les plages de Santa Monica par exemple et privilégie le noir et blanc pour « se distancier de la vraie vie …afin de favoriser l’image ». Mais en aucun cas, il ne leur vole leur âme.
Ces photographies vont considérablement bouleverser le milieu de la mode, changeant définitivement le regard d’une industrie ne se définissant qu’à travers une perfection de façade. Les mannequins sont immergées dans un décor banal, au milieu de rues passantes comme des instantanés de vie, des moments d’émotions rares gravés sur pellicule. Mais surtout, le travail de Peter Lindbergh fonctionne comme celui d’un véritable historien, nous montrant l’évolution de la femme dans la mode. De pulpeuse et rayonnante, la femme devient de plus en plus androgyne et famélique au fil des années, au grand dam du photographe qui déplore la maigreur extrême rencontrée dans les défilés.
La photographie de Kate Moss en salopette pour le Harper’s Bazaar new-yorkais lancera la carrière de celle qui est devenue depuis l’icône de plusieurs générations et le style de mannequins androgynes des années 90. Il est l’un des rares à l’immortaliser ainsi dans toute sa beauté, l’un des rares à savoir montrer la soudaine fragilité du mannequin à l’aube d’une carrière d’exception. Et il la présente en plan serré, l’air fatigué, avec des cernes, nullement apprêtée mais terriblement belle. On imagine sans peine un tel cliché avec la Kate Moss d’aujourd’hui, avec plus de formes, plus de marques de la vie peut-être.
L’exposition de Polka Galerie a permis de redécouvrir une vingtaine de photographies, reprenant les incontournables portraits de Kate Moss, Milla Jovovich, Linda Evangelista ou de Jeanne Moreau et des mises en scène moins connues mais affichant le respect et l’amour du photographe envers les femmes, leur silhouette, leur élégance naturelle et leur sensualité. Reposant nue s’exhibant dans les hautes herbes mais préservant son anonymat, une certaine Cordula Reyer nous accueille et nous hypnotise dès l’entrée dans l’exposition. Plus loin, le photographe plonge Linda Evangelista dans une ambiance des temps modernes pour Comme des Garçons.
Et le cliché de Kate Moss apparaît dans toute sa splendeur, ce fameux cliché ayant lancé la légende. Jeanne Moreau dans la beauté de son âge côtoie Naomi Campbell en formidable ange noir ou promenant des dalmatiens. Linda Evangelista est également très présente et se contorsionne parfois. Des photographies émouvantes et bouleversantes mais assurément le témoignage d’une époque…
L’exposition « Peter Lindbergh on street » au C/O Museum de Berlin sera visible jusqu’au 09 janvier 2011.
C/O Museum Berlin Oranienburger Str 35/36 . 10117 Berlin
Tel 030 28 09 19 25 . [email protected]
Polka Galerie
12 rue Saint Gilles 75003 Paris
Du mardi au samedi, de 11h à 19h30
Marie-Odile Radom
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