Macbeth d’après Shakespeare d’Heiner Müller.
C’est trash, c’est gore. Avec sa dernière mise en scène, présentée à la Comédie de Saint-Etienne, Jean-Claude Berutti propose une vision apocalyptique du monde habité par des personnages assoiffés de pouvoir. Aux comédiens de s’en donner à cœur joie. Au spectateur, après coup, de réclamer sa dose d’hémoglobine…
La tragédie d’un monde.
Sur scène : lumière blafarde. Des tas de vêtements qui jonchent le sol comme autant d’âmes défuntes. Le général Macbeth, en tenue de camouflage, revient victorieux de sa journée de combat où il a défendu la couronne de Ducan. Des bruits de guerre amplifiés. Puis le silence des landes, là où Macbeth rencontre trois sorcières qui lui prédisent qu’il deviendra duc de Cawdor, puis Roi d’Ecosse. Ma sœur, dit l’une d’entre elles, d’où vient ce sang sur tes habits? J’ai pris mon déjeuner sur le champ de bataille, répond l’autre. Imaginées par le metteur en scène en vamps de la nuit, on sait que Macbeth ne pourra réchapper à la prédiction de ces voraces séductrices… Si la version « müllerienne » de Macbeth prend le même argument que l’orignal shakespearien, elle est plus complète que celle de Shakespeare. Heiner Müller rajoute des petits épisodes avec des personnages de paysans, explique Jean-Claude Berutti dans une interview sur www. theatre–contemporain.net, des personnages de serviteurs qui viennent relativiser ce qu’on pourrait entendre par tragique et qui situe la tragédie à un autre endroit. Ce n’est pas simplement la tragédie du roi Macbeth. Avec Heiner Müller, c’est la tragédie du monde dans lequel on vit.
Quand Macbeth, avec la complicité de sa Lady, tue le roi Duncan et s’empare du pouvoir, le « broyeur aveugle » est en route. S’enchaînent des scènes sanguinaires de vengeance et de mort où le couple sombre peu à peu dans sa folie, où serviteurs, paysans et soldats, comme entraînés par leurs remords, participent au carnage. Une femme enceinte se fait ouvrir le ventre et égorger, un autre arracher sa verge, un troisième se pendre… Macbeth et sa Lady sont des monstres, tous comme les autres sont des monstres, souligne Jean-Claude Berutti, presque amusé, et finalement ils ne sont pas plus monstrueux que les autres. Peut-être même, le sont-ils moins?
Un décalage permanent.
Le metteur en scène a choisi d’aller jusqu’au bout de son parti pris : gore et trash.
En cela, la pièce d’Heiner Müller, traduite de l’allemand par Jean-Pierre Morel, s’y prête à merveille ; une vraie machine à jouer que s’empare à bras-le-corps la troupe de comédiens francophones, venus des quatre coins d’Europe. Tous semblent d’ailleurs jubiler dans les grandes effusions. Leur accent réveille la musicalité de la langue de Müller, charnelle et obscure, qui convoque tout sur scène, du plus intime au plus collectif. Si le grotesque, largement exploité dans la mise en scène, permet de mettre un peu de distance et de regarder le spectacle de biais, on sera de toute manière rattrapé par le décor : un échafaudage tel un château éphémère sur lequel sont projetées des radiographies de squelette. Alors, se laisser « mordre » ou rejeter tout en bloc ? Difficile de retenir en soi ce rire qui surgit devant la farce du monde. Ou bien l’on se protège, par le jeu des vérités masquées, en se disant : « C’est pas moi, c’est Macbeth. »
C’est cela, la force du théâtre. A tester, donc.
par Odile Woesland
Du 4 au 9 novembre 2010 – www.comedie-de-saint-etienne.fr – 04 77 25 01 24
crédits photos – Régis Nardoux