« Aujourd’hui la photo fait partie de ma vie. Elle ferme le cercle de mes préoccupations artistiques et professionnelles. Je ne vois plus la vie sans sa vision. Je regarde le monde et la mode avec l’œil de l’appareil. Cela donne à mon travail de base un détachement critique qui aide plus que je ne l’aurais soupçonné. » Karl Lagerfeld
Le célèbre créateur de mode et designer Karl Lagerfeld est un grand amateur d’art et un passionné de photographie. Depuis 1987, l’artiste s’exprime à travers son objectif réalisant des séances photo pour les plus grands magazines de mode parmi lesquels Vogue et Numéro et des campagnes de publicité pour entre autres Chanel et Fendi. Mais il saisit également des images plus personnelles lors de ses voyages ou de ses déambulations parisiennes mettant en avant son goût pour l’architecture, des paysages de Versailles aux façades de New-York.
La Maison Européenne de la Photographie regroupe pour la première fois quelques 150 photographies du créateur et vous propose jusqu’au 31 Octobre 2010 de découvrir son univers à travers l’exposition « Karl Lagerfeld : Parcours de travail », qui mêle subtilement photos de mode mais également œuvres plus personnelles et expérimentations réussies autour du tirage. Du créateur, on connaît sa silhouette reconnaissable entre mille (catogan, lunettes noires et gants blancs) et qu’on peut croiser – mais pas toucher – auréolée d’un néon bleu dans un recoin de la Galerie Contemporaine. Mais que connaît-on réellement de son âme, de ce qu’il aime, de sa vision du monde irrémédiablement imprimée du calque de l’univers de la mode, de son rapport avec le temps qui passe dont il s’évertue à cacher les dégâts ? Peu de choses à vrai dire et cette exposition nous le rappelle.
La rétrospective la plus attendue de la rentrée culturelle à Paris s’organise en deux parties réparties dans les salles de la Galerie Contemporaine, l’une est consacrée aux thématiques fortes du photographe (le portrait, la mode, le paysage ou l’architecture), et l’autre présente son travail plus expérimental autour du tirage et des sérigraphies. ??Pour Karl LAgerfeld, la création photographique ne se résume pas à l’unique prise de vue mais inclut le laboratoire, le développement et le tirage : « Le papier est ma matière préférée, il est le point de départ d’un dessin et le résultat final d’une photo« . ».
Tirages mats en noir et blanc, graphiques ou contrastés alternent avec des épreuves couleurs aux teintes douces et très estompées dans le pur style pictural comme dans la série Casa Malaparte à Capri, villa dans laquelle a été tourné Le Mépris de Jean-Luc Godard. L’artiste utilisent les différentes techniques de tirage modernes allant des impressions numériques aux sérigraphies en passant par le classique tirage à l’argent et les transferts Polaroïd. Il utilise également la résinotypie et les tirages Fresson sur diapositives couleur de format 6×6 pour accentuer l’effet pictural de ces paysages.
D’emblée, son travail sur l’architecture Versaillaise interpelle tant il semble classique pour ne pas dire académique et un poil trop détâché du sujet. Seul le traitement sérigraphique sur Arches donne un semblant de vie à cette série inattendue. Les Figurative Abstractions, tirages sur d’immenses panneaux blancs en toile recouvrant un pan de couloir, rendent méconnaissable une tempête de grêle à Rome tant la prise s’est faite en gros plan. Sa vision des façades de New-York et de ses « fire escape » est résolument innovante, l’artiste ayant su à la fois choisir des escaliers métalliques bruts et d’autres beaucoup plus travaillés, on imagine aisément l’artiste levant la tête subjugué par la vision s’imposant à lui avant d’immortaliser cet instant.
Rapidement son travail de mode est abordé, alternant série mode, publicité et portraits de célébrités dans une seconde salle. Et c’est là que ses influences, que ces hommages certains se font le plus ressentir. Comment ne pas reconnaître le style de Roy Lichtenstein dans cette sérigraphie de Zhang Ziyi ? La série inédite Metropolis commandée par le magazine Vogue reste captivante avec un tirage paillette de toute beauté, véritable travail d’orfèvre. Bien qu’elle semble tout droit sortie de l’univers de Fritz Lang, elle arrive à s’individualiser de cette lourde comparaison par le traitement fait. La série « Hommage à Oskar Schlemmer » est un bel exemple de color transferts où sur certaines épreuves l’artiste a fixé de la couleur avec des pigments de maquillage ou des pigments secs à l’estompe afin d’accentuer l’effet pictural. Le peintre de Bahaus est également un des artistes préférés de Karl Lagerfeld et reste l’un des premiers artistes à exceller dans de multiples disciplines, rappelant comme un écho combien Karl Lagerfeld aime aborder et maîtriser toutes les formes d’art se présentant à lui.
On découvre avec intérêt un travail plus personnel avec Baptiste Giabiconi à travers la série The Beauty of Violence où l’artiste dépeint son double dans les affres des émotions d’un Dionysos moderne, un travail beaucoup moins policé où on découvre un Baptiste somme toute plus humain loin d’une perpétuelle et illusoire perfection. C’est d’ailleurs ce qu’il ressort de ses séries mode, des silhouettes parfaites presqu’inhumaines alors qu’il excelle dans l’art d’exprimer des émotions lorsqu’il se frotte à l’art délicat du portrait de célébrités. On peut se demander l’intérêt qu’il y a à exposer les photographies de publicité, travail professionnel maintes fois exposé dans les magazines, jusqu’à la belle découverte de cette campagne Fendi dans les tons bleu très visiblement inspirée par les peintures d’Edward Hopper dans laquelle il sait se mettre en scène.
L’exposition permet également de mettre en perspective deux traitements similaires et à la fois différents : celui fait autour d’un de ses modèles préférés Claudia Schiffer et celui autour de sa muse Baptiste Giabiconi. Claudia Schiffer est aussi présente que Baptiste mais est constamment mise en scène des rôles très différents. On peut déplorer l’absence de la photo de la muse ayant fait scandale récemment où le top-modèle apparaît transformée en femme noire alors que celle mettant en scène une des actrices bien en chair du film Tournée apparaît au détour de plusieurs séries mode.
On peut déplorer l’absence d’indication sur les tirages et les techniques utilisés, qui sont détaillés dans le catalogue d’exposition mais malgré cela, cette exposition reste un événement à ne pas manquer. Mais à vous de vous faire votre propre opinion sur ce que l’artiste a bien voulu nous laisser entrevoir…
Crédit photos : Karl Lagerfeld with the courtesy of Maison Européenne de la Photographie
Maison Européenne de la Photographie
5 rue de Fourcy 75004 Paris
Ouvert tous les jours de 11h à 20h sauf les lundis, mardis et jours fériés.
Tarif: 7 euros
www.mep-fr.org
Marie-Odile Radom