« Au détour d’un des longs couloirs de notre esprit, apparaissent parfois des créatures fantastiques. Des personnages envoûtants et explosifs surgissent du noir et se révèlent à nous, jamais figés dans ce cadre matrice toujours prêt à voler en éclats…. Confinés au delà du cadre, certains s’en échappent, débordent sur le réel et esquissent un chemin entre eux et nous… » Stéphane Nigentz
Le vendredi 02 juillet 2010 a été l’occasion d’entrer dans un couloir un peu particulier et ainsi d’aller à la rencontre d’un photographe parisien sans concession produit par Bombes Production : Nigentz. Pratiquant la photographie depuis son adolescence, Nigentz est également chef opérateur pour des courts et des longs métrages. Avec son exposition solo « Le Couloir Magique« , l’artiste propose une étonnante série de portraits dont le fil conducteur est un cadre de tableau dans un tunnel ou plutôt un couloir sombre. Le photographe a sélectionné, au hasard de ses rencontres, des gueules et des corps qui racontent des histoires à l’aide de maquillages, de tatouages et de costumes, et les a ainsi pris en photo à travers le cadre.
A l’instar d’une galerie de portraits de famille, celle d’aristocrates de la fête, du genre (sexuel ou social), de la posture et de la vêture, Nigentz nous propose un travail sur la notion du « cliché » et du rapport à l’image. Tantôt érotiques, maléfiques, magiques ou simplement bouleversants, les portraits de Nigentz nous subjuguent et nous montrent ce qui peut se cacher derrière la notion d’image, jouant ainsi sur nos sens et nos émotions, dépassant définitivement ce simple cadre pour nous amener à la notion d’identité.
Le vernissage de son exposition à la Galerie G a été l’occasion d’essayer d’approcher un être sensible qui ne se livre pas si facilement que ça.
D’abord merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Vos photos sont comme des tableaux avec trois éléments. Le premier élément est le tunnel, hyper fort, qui donne un côté très intimiste. Ensuite nous avons le cadre qui a son rôle et qui est même un personnage à chaque fois. Il apparaît même tout seul à un moment. Enfin, il y a les personnes, qui ne sont pas des personnages mais des personnes, qui viennent avec ce qu’elles sont. Comment les avez-vous rencontrées ? Est-ce vous qui les dirigez, leur dites un petit peu comment faire ou est-ce simplement eux qui se positionnent naturellement ?
Je rebondis sur le cadre comme personnage et sur la photo où il apparaît seul. Ce qui m’intéresse vraiment dans cette photo, c’est que tu peux imaginer ce que tu veux. Ce n’est pas un hasard si je la mets vraiment à la fin de l’expo car c’est ensuite au spectateur d’imaginer ses propres images, ses propres fantasmes derrière ce cadre dans ce couloir.
Pour rencontrer ces gens, en général, je vais dans des soirées à thèmes où je peux rencontrer des personnes déguisées. Je vais choisir les gens que j’ai envie de photographier, je vais ensuite les mélanger. Souvent, je travaille avec des personnes qui ne se connaissent absolument pas et là je fais une vraie mise en scène. J’essaie de raconter une histoire à travers ces différents personnages car eux représenteront un cliché. J’adore travailler sur et autour de la notion du cliché. Ce sont des gens qui sont eux-même des personnages. Ils ne sont pas des modèles professionnels mais ils se mettent en scène dans leurs sorties, dans leurs nuits. J’interviens et je les mets en scène. Ensuite, je leur parle longuement. Les premières photos sont toujours inutiles. C’est très rare que les premières photos fonctionnent. Je travaille pour des films de cinéma, je travaille beaucoup avec des comédiens. J’adore qu’il y ait une vraie préparation quand tu as a une sensation, une perception qui te prend. Je travaille de la sorte et j’essaie vraiment de faire rendre tout cela.
Lorsque vous les rencontrez, avez-vous déjà une idée de comment vous allez les prendre ou c’est plus en discutant avec eux que l’idée vient ?
C’est d’abord leur look, leur visage, leur beauté ou non qui m’interpellent et ensuite je vais parler avec eux, c’est pour cela que je dis que les premières photos sont inutiles. Parce que ce n’est pas évident de dire qu’on va utiliser telle lumière quand c’est une prise de vue impromptue. Si c’est un modèle qui vient pour ça, je peux passer une heure à dire on va faire ça, ça et ça et ne pas sortir l’appareil photo. Sauf que là, il faut quand même leur montrer psychologiquement que je suis photographe. Donc je prends du temps, j’essaie de les connaître. Et par rapport à ce qu’il me renvoie, je vais leur demander d’aller dans tel ou tel sens.
La photo avec la fille avec la robe blanche, l’ange, est très intéressante. Elle me fait penser au livre Le Fantôme de l’Opéra. La robe forme un masque blanc, elle est assez éthérée et me fait penser au fantôme Éric, qu’on appelle aussi l’ange.
Je n’avais pas du tout cette référence-là. J’ai vu les films le Fantôme de l’Opéra, le film italien et celui de De Palma mais je ne l’avais pas. Il se passe plein de choses dans cette photo. C’est non seulement un ange mais en même temps lorsque tu regardes cette photo de loin, cette robe peut représenter une tête de mort…
Une vanité, vue à travers le masque.
Absolument, une vanité. Il se passe plein de choses dans le fait que cette nana soit complètement détendue, complètement angélique et qu’il y ait une deuxième dimension si on la voit de loin. C’est une des photos que j’ai entièrement mise en scène. J’ai travaillé avec une fille que j’ai rencontrée dont j’adore la manière de bouger et qui a fait énormément de danse. Je suis allée chercher une robe et j’ai demandé à une maquilleuse de faire la séance avec moi. On est vraiment parti de rien. Et ce n’était pas du tout dans le cadre d’une soirée. La photo a été faite dans le même lieu de prise de vue que les autres mais un après-midi, car je suis devenu proche des gens chez qui j’ai pu faire toutes ces photos.
Cette photo est vraiment très réussie. On ne voit pas le masque au premier abord. On remarque la robe, l’idée et puis en se rapprochant, le masque apparaît et la fille s’efface totalement et c’est une autre image qui vient prendre la place.
J’ai l’impression qu’avec moi, c’est plutôt l’inverse. J’ai tendance à focaliser sur les visages et aller voir ce qui se passe sur un visage. Après je vais me reculer et je vais découvrir cette espèce d’œil.
L’image est assez forte comme celle du scarifié qui a le visage totalement ensanglanté.
Les deux photos vont ensemble. Je les mets souvent l’une à côté de l’autre. L’image du scarifié est vraiment brut de pommes.
La triplette est vraiment intéressante. On a d’un côté un homme exclu et qui le montre et un « couple » de l’autre. Les regards sont très intenses.
Il y a une histoire très forte sur cette photo. Dans ces soirées, je demande aux personnages de se laisser prendre en photo et donc j’ai demandé à ces trois personnes de venir poser. Il se trouve qu’elle et lui ne s’étaient jamais vus. J’ai demandé aux deux garçons de rentrer dans un jeu de séduction avec elle. Il y a toute une série, certaines sont projetées là. Ça a duré peut-être une demi-heure ou trois quarts d’heures, où j’ai demandé aux deux garçons d’essayer de la séduire. Donc évidemment elle au milieu avec un garçon de part et d’autre qui essayent de s’attirer ses penchants, ses faveurs. La fille a choisi plutôt Yann, l’autre s’est senti en exclusion. J’ai poussé cette scène. Et l’histoire extraordinaire de cette image, c’est qu’après cette rencontre, Yann et cette fille ont eu une vraie histoire ensemble. Dans cette série, j’ai quelques autres photos d’amoureux, de gens qui sont vraiment dévolus à l’autre, que je n’ai pas tout le temps créé. J’ai réussi à capter ça, j’ai fait des vraies images d’amoureux qui sont projetées.
Il y a beaucoup de nus. Il n’y en a pas énormément en tirage mais beaucoup sont projetés sur l’écran. Pour des non-modèles, cela n’a pas été trop difficile de les faire poser nus ?
Ce sont des non-modèles mais en même temps ce sont des gens qui mettent leurs personnages en scène. Après ils ne sont pas habitués à la photo. Mais Il suffit de peu, mais parfois ça ne marche pas. J’aime bien diriger des comédiens ou des modèles, et eux étant donné qu’ils aiment aussi jouer et arbhorer des personnages, ils ont tendance à se laisser faire et donc à aller très loin. Et encore une fois, il est 4h du matin à Paris dans une boîte de nuit, les masques tombent même s’ils en portent d’autres.
En regardant vos photos, votre travail est une question d’identité finalement. C’est un rapport à l’identité très frappant.
C’est AUSSI un travail sur l’identité, sur le cadre et sur l’hors cadre. Sur ce que je suis, moi, portant ce costume, sur ce que je montre et sur que je suis réellement. J’essaie de travailler sur le décalage entre ce que les gens peuvent percevoir du look de quelqu’un et ce que cette personne est réellement.
Et que mettez-vous de vous dans ces photos car il est également question de cette identité-là ?
Qu’est-ce je mets de moi et en même temps qu’est-ce que je propose aux gens qui vont voir mes photos. En fait, c’est une forme d’interrogation quant aux fantasmes, quant aux clichés et aussi quant à l’érotisme. Comment je me situe, quelles sont les images que j’ai envie de voir la-dedans.
Il y a beaucoup de dualité dans vos photos, au delà des couples. Sinon il me semble qu’il y a également des montages dans vos photos ?
Parfois il y a un élément dans la photo que je veux faire disparaître mais il n’y a pas de montage. Je peux enlever des éléments ou laisser uniquement ce qu’il y a à l’intérieur du cadre mais il n’y a pas de montage. Les photos sont vraiment ainsi.
Et bien cela fera une bonne phrase de conclusion. Merci encore d’avoir pris le temps de nous parler de votre travail.
Finalement, la question d’identité à travers le cliché vient rapidement lorsqu’on observe le travail de Nigentz. Il ne nous reste plus qu’à regarder à notre tour à travers ce cadre vide pour nous créer nos propres images.
Vous pouvez admirer le travail de l’artiste sur le site de Bombes Production www.bombesproduction.com/presentation-nigentz.html.
Nigentz participera également à l’exposition collective « Nervousness » à la Galerie G au 23 rue des Lilas 75019 Paris du 08 au 24 Septembre 2010.
Marie-Odile Radom