L’exposition « Rose, c’est Paris » à la BnF Richelieu de Paris jusqu’au 11 juillet 2010 est une expérience intense, une plongée dans le monde de l’onirisme, de l’érotisme et des non-dits mais avant tout une exploration de la dualité.
Dualité de supports d’abord.
L’exposition relate la quête initiatique de B. pour sa sœur jumelle Rose, qu’elle prétend disparue, dans un Paris intime décrit dans l’objectif de Bettina Rheims, au fil d’une fiction conçue avec la complicité de Serge Bramly. Un film et 120 photographies nous aident alors à suivre le parcours de l’héroïne dans un Paris surréaliste qui semble ne pas vouloir prendre racine dans le Paris d’Aujourd’hui. Mais c’est un parcours en Noir et Blanc où des modèles célèbres et anonymes sont mis en scène dans des lieux mythiques sous la forme de tableaux. Deux supports complémentaires mais qui ont su conserver leur indépendance : ils peuvent survivre l’un sans l’autre même s’ils ne parlent que d’une seule voix pour que l’un explique les non-dits de l’autre dans un pas de deux brillant.
Petit bémol toutefois : Le film est projeté tous les jours à l’entrée de l’exposition. Quelques écrans se trouvent également dans la salle d’exposition proprement dite afin de suivre le cheminement de Rose. Mais le petit coin prévu à l’entrée n’est pas très pratique pour regarder le film qui dure quand même plus d’une heure. Il faut mieux prévoir de le voir un jour de projection dans l’auditorium de la BnF dans des conditions plus confortables pour pleinement l’apprécier. Or ces diffusions sont trop peu nombreuses et sont exclusivement le samedi.
Dualité de regards où celui de la photographe Bettina Rheims se confond avec les mots de l’écrivain Serge Bramly.
Les deux auteurs ont imaginé ensemble des scènes, comme une série de tableaux vivants, que Serge Bramly a filmées avec une caméra HD dans le même temps que Bettina Rheims les photographiait. Ils ont imaginé des hypothèses sur la disparition de Rose dans lesquelles sa soeur jumelle se met en scène tel Fantômas dans un Paris de légende. Elle devient tour à tour stripteaseuse, japonaise fumeuse d’opium, un véritable caméléon des temps modernes. Les initiales des deux sœurs sont B et R, est-ce simplement Bettina qui parle d’elle-même dans un langage codé que seuls les initiés peuvent comprendre ? Ou bien n’est-ce pas plutôt pour rappeler que l’une pourrait être Bettina Rheims et l’autre Serge Bramly ?
Dualité d’héroïnes où B. recherche sa sœur jumelle même si on sait à l’avance que sa quête ne l’emmènera nulle part à part vers elle-même.
Car là encore, la dualité est très présente, Rose et sa sœur en effet miroir, tel un dédoublement qui parfois se regarde souffrir. Et tout au long de sa quête, elle croise des femmes qui ressemblent à Rose mais qui ne sont pas Rose, telles différentes facettes de la même femme. Rose ne porte t’elle pas un masque sur la moitié de son visage ? B. n’hésite pas à remplacer sa sœur pour vivre sa vie, ses souffrances, ses plaisirs, l’une et l’autre vont finir par se confondre puis se dissoudre sûrement. A travers les différents tableaux on croisera Naomi Campbell – un des seuls personnages dont on entendra la voix-, Michelle Yeoh, Monica Bellucci, Charlotte Rampling, Valérie Lemercier en gastronome, Anna Mouglalis en oracle, Audrey Marnay, Louise Bourgoin en Marianne moderne ou encore Hélèna Noguerra en fabuleuse Sainte-Rita. Célèbres ou anonymes, les femmes sont partout car Rose peut emprunter tous les visages pour être la femme absolue, assumant son côté sombre et en jouant à la perfection. La rose est d’ailleurs très présente dans l’histoire (et dans le travail de la photographe) jusqu’à être empoisonnée.
Dualité des Paris.
Bien sûr, les monuments emblématiques de Paris (Tour Eiffel, Sainte-Chapelle) sont présents mais Bettina Rheims préfère nous emmener dans un Paris souterrain, mystérieux, plein de secrets : le dôme de l’Observatoire, les sous-sols du Palais de Tokyo, les canaux souterrains… Mais ces lieux sont plus que de simples décors, ils font partie intégrante de l’histoire, ils inspirent la quête même et situent l’action dans un Paris entre deux guerres, bien loin d’un Paris moderne et flamboyant.
Ce récit fantastique est parsemé d’hommages et de références (Salvador Dalí, Man Ray). Le film commence par un hommage appuyé à Serge Gainsbourg, l’homme qui aimait les femmes pour se transformer en véritable cri d’amour pour Helmut Newton, à travers des tableaux d’esthétiques porno-chic, de scènes sadomasochistes en poupées désincarnées à l’esthétique glacée.
Mais très vite, l’ombre de Marcel Duchamp plane sur Rose, lui qui aimait tant le secret, les signes, le jeu. Il n’hésitait pas à détourner les éléments et à jouer avec les mots. Bettina utilise son objectif à son tour pour se jouer des éléments et peut-être de nous. Comme ne pas voir Rrose Sélavy, double fictif de Duchamp, dans « Rose, c’est Paris » ! L’artiste immortalise ici une Joconde dans le métro qui n’est pas sans rappeler L.H.O.O.Q. ou réinterprète là la Mariée mise à nue par ses célibataires, même.
Le cinéma de toujours n’est pas oublié entre Belle de jour et Casque D’or, les références foisonnent pour notre plus grand plaisir avec La Mort mise à mort, qui n’est pas sans rappeler un certain film de Quentin Tarantino. Et le Fauteuil des vanités est une des plus brillantes vanités photographiées depuis des années.
Un magnifique ouvrage TASCHEN Rose, c’est Paris est disponible en édition limitée au prix de 750 euros avec une édition Collector numérotée et signée (tirée à 1500 exemplaires) qui comprend outre 200 photographies, un DVD et divers objets (rose, loup, Tour Eiffel miniature..) présentés dans une valise. Le catalogue de l’exposition est néanmoins disponible au prix de 25 euros et propose une sélection de photographies ainsi qu’un entretien des deux artistes.
Bettina Rheims nous montre un peu d’elle à travers cette exposition mais elle ne donne pas toutes les clés. A nous de les trouver, seuls ses proches savent, nous, devons deviner. Mais on ne peut s’empêcher de contempler son travail frisant la perfection, sa maîtrise des ombres et de sa part d’ombre, ses mises en lumière et ses obsessions. La photographe nous prouve qu’elle est bien « une photographe de la peau » comme elle le dit elle-même. Ancien mannequin devenue photographe, elle met les autres femmes à nu à travers son objectif, les dévoilant alors dans leur plus grande intimité. Son alter ego Serge Bramly est écrivain, scénariste, critique gastronomique et critique d’art, en particulier de photographie, pour de nombreux magazines. Il a collaboré à maintes reprises avec Bettina sur ses précédents projets.
On ne peut que s’incliner devant leur travail et partir nous aussi à la recherche de Rose…..
Crédit photos : © Bettina Rheims.Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont, Paris
BnF – site Richelieu,
Galerie de Photographie, 3-5, rue Vivienne. 75002 Paris.
Du mardi au samedi de 10h à 19h, Dimanche de 12h à 19h
Fermé lundi et jours fériés.
Entrée : 7 € , Tarif réduit : 5 €
Marie-Odile Radom
2 comments
L’expo est formidable et m’a donné envie de connaitre cette photographe. je ne connaissais que la photo de Chirac (!) alors qu’en fait il y en a plein d’autres…
http://www.bettinarheims.com
Ravie que l’expo vous aies plu. Bettina Rheims est mal connue du grand public plutôt que méconnue. Son style provocant fait qu’elle est peu médiatisée. Mais l’exposition de la BNF lui permet d’enfin se faire connaître à plus grande échelle.
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