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Paroles Photographiques

by Marie Odile Radom
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Il existe des lieux dits de passage comme ces halls d’attente de gares où les gens attendent leurs trains, courent, téléphonent, discutent et parfois poussent de grands éclats de rire. La plupart du temps, les voyageurs ne savent pas quoi faire pour passer le temps surtout en temps de grève. Des boutiques sont installées dans l’enceinte de la gare mais celles qui subsistent vraiment sont les kiosques à journaux et parfois les boutiques de friandises.

Certaines boutiques finissent par disparaître faute de client. Les halls de gare deviennent alors des lieux d’ennui. De ces disparitions de boutiques et de ces ennuis quotidiens peuvent naître de bonnes idées. Des idées qui redonnent vie à ces lieux morts. Comme cette ancienne boutique de jeux vidéo de la Gare Haussmann Saint-Lazare du RER E qui est devenue lieu d’exposition, afin d’emmener la culture vers ceux qui n’ont pas le temps d’aller elles.

A l’occasion de la seconde édition de leur concours photographique Paroles Photographiques, Actuphoto a mis en place un partenariat avec la SNCF pour présenter les images du concours au plus grand nombre. Cette exposition, qui s’est tenue du 07 mai au 05 juin 2010, a révélé cinq points de vue différents traitant de façon remarquable l’engagement en photographie. Les thèmes de la perception de l’avenir pour les prisonniers, du massacre des albinos en Tanzanie, de l’androgynie, de l’exil afghan ou encore de l’antonymie de la pudeur y ont été abordés à travers cinq regard puissants mais tellement humains où prédominent le noir et blanc.

Dorothy Shoes, la grande gagnante du concours, nous propose via Et demain, Portraits d’Avenir d’aborder l’intimité photographique dans l’univers carcéral. Ces photographies d’auto-portraits d’avenir, masques dessinés par les détenus eux-même, permettent aux prisonniers de faire face à leur image mais aussi à leurs mots. Dorothy donne des ateliers de photo-graphisme en prison auprès de détenus mineurs et majeurs de toutes les nationalités, de toutes les couches sociales, quelle que soit la peine.

Ces ateliers ont pour but de mettre le détenu face à la perspective de sa sortie de prison et imaginer son demain sous un angle inhabituel. Et ainsi le considérer et le faire se considérer non pas comme détenu mais plutôt comme une future personne libre. Ainsi à l’image des trois Nornes, les tisseuses de vie, Dorothy les amène à prendre conscience des liens et des passerelles existantes entre le passé, le présent et le futur. Pour Dorothy : »… L’art raccorde l’intime-intérieur au monde extérieur. La prison prive l’homme de liberté pendant un temps jugé. L’art pour liberté nouvelle et parallèle à celle dont il est privé. »

Franck Vogel nous interpelle via le Massacre des Albinos en Tanzanie. Les sorciers en Tanzanie utilisent les Albinos pour concocter des potions sensées apporter richesse et prospérité à des hommes d’affaire désireux de tirer le maximum d’or de leurs mines, ou alors des politiciens voulant se faire élire. Alternant les scènes de joie où on peut voir des albinos « intégrés » dans la société et d’autres photos plus intimes et bouleversantes entre corps mutilés et hommes résignés, le photographe nous amène à voir ces habitants discriminés sous un autre jour dans le pays ayant le plus haut taux d’albinos dans sa population.

Depuis 2007, plus de 47 personnes souffrant d’albinisme ont subi des amputations à la machette de jambes ou de bras. Les membres sont ensuite vendus aux sorciers, un corps entier d’albinos pouvant valoir jusqu’à 10 000 $. Franck Vogel a choisi le noir et blanc accentuant les contrastes et renforçant parfois l’impression de malaise engendrée par le sort réservé à cette minorité, ayant souvent des problèmes de vue, condamnée la plupart du temps au chômage et à la pauvreté quand elle ne décède pas d’un cancer de la peau.

Ulrich Lebeuf /Agence MYOP  nous a présenté l’Antonyme de la pudeur, backstage étonnant de tournages de films pornographiques. Le photographe nous présente une vision aseptisé du porno mais surtout énormément distancé, rien d’explicite n’est laissé aux yeux des spectateurs. Ulrich reste à distance ou saisit les à-côtés, les corps sont poussés à la marge ou laissés dans l’ombre donnant la part belle parfois au décor, à la lumière. Seules certaines émotions, certains regards sont laissés transparents de vérité. Les femmes alanguies ressemblent à des poupées gonflables tant elles semblent désincarnées et loin de ce qu’elles font.

Pantins humanisés, on sent comme un désespoir dans leurs regards et une certaine résignation. On aperçoit ici une caméra, en substitut phallique, essayer d’attraper l’intimité dans sa crudité. On imagine là le reste d’une scène coupée en deux. Le photographe a réussi son pari, rendre de l’intimité à un milieu qui n’en a pas.

Thibault Stipal nous interroge via Androgyne sur la frontière entre l’homme et la femme. Ses photos, dont certaines n’évitent pas une lumière très forte, sont troublantes à tel point qu’on est parfois obligé de s’y reprendre à deux fois avant de comprendre à qui on a affaire. L’androgyne par définition est un être humain dont l’apparence ne permet pas de savoir à quel sexe il appartient. Le terme est aussi revendiqué par certaines personnes qui ont une identité ni tout à fait féminine ni tout à fait masculine, quelle que soit leur apparence physique. « L’androgyne est fascinant parce qu’il dérange, il attire certains mais repousse d’autres. J’ai abordé mes modèles dans la rue, dans les lieux publics, rencontres de hasard. Ils troublaient le regard. Rien d’extraordinaire. Des gens presque normaux. Une infime singularité, léger bousculement des codes sociaux en vigueur. Leurs visages et leurs corps ouvraient la possibilité d’une confusion des genres. Attirance ou répulsion personne n’y est insensible. »  nous explique le photographe. L’androgyne, dont l’ambiguïté assumée devient une véritable force, ne laisse personne indifférent entre attirance et répulsion. Nous interrogeant sur notre représentation du masculin et du féminin, Thibault Stipal nous donne un début de réponse avec sa vision de ces anges qui le trouble.

Hervé Lequeux nous raconte l’Exil afghan: Histoire de Khallil et Moumin, deux jeunes afghans de 17 ans qui traversent clandestinement 6 frontières depuis l’Afghanistan. Sur les routes d’Iran, de Turquie  et d’Italie, ils font face à la violence, se logent comme ils peuvent et où il peuvent, travaillent pour des salaires misérables, atteignent les îles grecques sur des radeaux de fortune et finissent par échouer à Calais, ultime étape avant l’eldorado anglais au terme d’un voyage de plus d’un an. Ils resteront 6 mois à Calais dans des conditions déplorables (froid, camp de fortune…) perdant petit à petit le peu d’espoir qui leur restait.

Le photographe a lui aussi privilégié le noir et blanc pour nous faire découvrir leur quotidien de clandestin entre scènes de le vie quotidiennes et scènes plus intimes. On ressent l’attente, leur attente et aussi leurs désillusions d’une liberté promise mais si lointaine. Et puis l’inattendu se produit enfin. Les voilà enfin en Angleterre vivant une vie quasi-normale (travail, maison..) mais avec l’angoisse de voir leur rêve brisé par un simple contrôle de papier.

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Crédit photos : © Actuphoto

Marie-Odile Radom

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