Et en voici une de tribu qui n’a pas plus de 100 ans. Mais ! (pause), Qui parfois est grave gaga, à en perdre la tête (nuit, musique, alcool, et 70€) sous les yeux de l’auteur Camille Salmon.
Son étude de la sociologie nocturne, et son bébé le Chacureuil :
« Ma petite vie d’assistante de production dans l’audiovisuel, j’ai compris à 27 ans que ce n’était pas moi. Mais une fois payé le luxe de tout envoyer valser, Contrat Nouvelle Embauche et 9 heures-18 heures, il a bien fallu faire des sous en attendant de voir dans quelle(s) direction(s) orienter ma nouvelle vie professionnelle. « Que doit-on faire pour bosser chez vous ? », osai-je un soir de 2007 au bar du 5 avenue de l’Opéra. Quelques jours plus tard, je découvrais de l’intérieur les rouages de mon club préféré.
Oui, je bossais dans des chiottes. Mais quelles chiottes.
Embrassées par des bits technoïdes hallucinés, de la House la plus animale à la minimale confidentielle et trippante (merci Marco).
Les urinoirs tremblaient sous les basses du plus lourd des hip hop West Coast. Les miroirs réfléchissaient à l’infini les riffs de guitares infernales.
On exhumait régulièrement, à partir de six heures du matin surtout, des rengaines de Brel, des tubes dance des nineties qu’on n’avait pas honte de porter aux nues, ou de providentielles mélodies italo disco inconnues des fans de Franck Dubosc.
Les planches de la mini-scène accueillaient des concerts mémorables tout comme du conceptuel couillu et finalement gagnant: de la I-pod Battle hystérique à la ô combien géniale, démocratique, irremplaçable, mythique pour tous les amoureux de toutes les danses, Colette Dance Class.
Derrière mon petit bar en hauteur je me délectais et me dégoûtais selon l’humeur d’une foule pseudo–hype ou pseudo-nerd, ados à barbes, trentenaires à casquettes, poules pathétiques, homos magnifiques, journalistes de mode fauchés mais en Comme des Garçons tout de même, étudiants auto-proclamés géniaux persuadés d’avoir découvert American Apparel avant tout le monde, mannequins dont l’absence de corps insultait la beauté du visage, et qui manquaient de vomir devant mon business de friandises mais pas devant une vodka-fruits rouges.
D’un point de vue strictement humain, j’ai expérimenté la plus profonde gentillesse et la plus inepte des condescendances. Pascal Nègre m’a snobée, Damon Albarn m’a lâché 50 euros. Un comédien français de seconde zone m’a embrassée de force, Michel Gondry m’a écrit un petit mot sur le décolleté. J’ai eu pour la première fois envie de vraiment frapper une fille, et je me suis fait des amis qui le sont restés.
Tandis que j’étoffais ma culture musicale et poursuivais à la dure mon étude sociologique des gens-qui-ne-dorment-pas, tintaient dans ma coupelle à pourboires des euros, des pesos, des livres sterling et d’autres monnaies que je n’ai toujours pas identifiées. On m’a payée en liasses de dollars, en tickets-restaurant, en bières, en flacons de vernis à ongles, en sushis, en fleurs, en bisous, en blagues, en cartes de visites parfois utiles.
Le microcosme Parisien-Parisien s’agitait là, sous mon nez, squattant au maximum cet espace où il pouvait s’entendre parler. J’étais bien installée, j’avais l’opportunité de mettre à profit cet observatoire. J’aime les chats. A Londres j’avais trippé dans Hyde Park avec les écureuils. Le chacureuil était né.
A peine avait-il remonté sa braguette et lavé (ou pas, pour un tiers des cas) ses mains que j’alpaguais le clubbeur d’un:
-Eh mec, dessine-moi un chacureuil!
-Gnhein? Un quoi?
Le sourire en deux secondes remplaçait la perplexité, et la petite œuvre naissait. Je pense que mes premiers chacureils rentraient à deux dans les toilettes dès que j’avais le dos tourné, car ils se sont multipliés plus vite que des lapins.
En trois mois j’ai pu patafixer une centaine de specimen croqués sur le coin de mon comptoir. Chacun de ces autographes artistiques est unique et symbolise un instant dans la vie du PP. Chacun des auteurs a mis sur le papier son imaginaire, son talent ou à défaut son humour, sa poésie, son enfance ou son angoisse, son degré d’alcoolémie ou de toute autre défonce, son narcissisme ou sa générosité.
J’ai le privilège d’être en possession de chaque original de ce bestiaire, et j’en ai le cœur plein de Merci. Car je sais qu’à la nuit tombée ils mettent une foire digne de ce nom dans le cahier qui les accueille, une foire digne de l’âge d’or de ce club. Le PP de l’ époque, c’était pas que pour les blasés du Baron et les refoulés du Baron.
C’était vraiment bien.
Camille Salmon: [email protected]
20 comments
Génial, çà rappelle le bon vieux temps……
Souvenirs et souvenirs… excellent !!!
Parmi les auteurs/ graffuers de Chacureuils: Teki Latex, Yan Ceh, Gaspard Augé (Justice), So Me, Adanowski.
rocambolesque entreprise pour une collection inclassable
i’m lovin it’
Mortels les dessins!
Respect.
G.
Terrible 🙂
Des anecdotes je veux des anecdotes
Très très beau texte, et magnifique apréhension du monde de la nuit, qui voit naitre dans les latrines de drôles de bestioles à faire rosir de bonheur n’importe quel psychanaliste;
Longue vie aux chacureuils
Edith
Encore!!
Encoooooore des articles de la dompteuse nocturne Camilla, qui pendant ma grippe A, me fait voir à distance, médicalement sage, ces animaux plus ou pas plus, malades que moi 🙂
Encore donc et encooooore bravo don Camillo!!
Superbe texte et dessins géniaux ! Non seulement tu écris bien, mais en plus tu sais faire éclore la créativité chez les autres, avec tes chacureuils…
merveilleux… quelle belle réecriture nocturne du Petit Prince…! J’en veux encore des chacurieux (un chacureuil, deux chacurieux!!)
Beau texte, beaux dessins : genial 🙂
Pleins, pleins de chacureuils pour la meilleure des chicas.
On en a jamais assez.
Bravo, Princesse de la Nuit.
Terrible, que de bons souvenirs !!!! et qu’elle bonne idée les chacureuils…Les dessins sont super et le texte vraiment bien écrit…!!!
je suis fan des chacureuils …
Le monde de la nuit , un monde que pas mal de gens connaisse mais qui malheureusement n’ont pas le don de l’écrire et de la décrire aussi bien . Très beau texte !
Génial ! J’adore le style, l’humour, les dessins des chacureuils… Encore !
Quel témoignage! Bravo!
Catsy catz! Love them! Bien joué Camille..
Sans vouloir être rabat-joie, mais on écrit Lévi-Strauss…
eh bien… tout ça pour les chacureuils et moi… on est en train de trinquer à votre santé avec de la liqueur de noisettes.
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